Les betteraves bio échappent à la jaunisse

Alors que la crise sanitaire de la betterave bat son plein, certaines voix s’élèvent pour affirmer que les parcelles biologiques tirent mieux leur épingle du jeu. Une affirmation jugée erronée par l’Institut technique de la betterave (ITB) et qualifiée de « bruits de plaine » par le réseau des agriculteurs bio d’Île-de-France. Mais, néanmoins, des analyses vont être menées prochainement par l’ITB pour obtenir une réponse scientifique sur le sujet.

En pleine crise sanitaire de la jaunisse de la betterave, certaines ONG environnementalistes l’affirment : « les betteraves bio sont moins attaquées que les betteraves traitées. »

François Veillerette, président de Générations Futures : « Un exemple en vidéo de culture de betteraves bio …sans pucerons ni jaunisse car la biodiversité a fait le boulot ! Une autre agriculture est possible ! Refusez la dérogation pour les néonicotinoïdes sur betteraves : signez et diffusez la pétition »

Le mouvement Nous voulons des coquelicots : « La betterave en BIO n’a pas été attaquée par les pucerons et, donc, la jaunisse. Les parcelles sous intraveineuse de #pesticides ont été, elles, ravagées. Qu’en conclut l’Etat ? Il ré-autorise un pesticide ravageur pour les pollinisateurs. »

À l’échelle nationale, le constat n’est pas toujours aussi tranché. L’Institut technique de la betterave (ITB) interrogé par DecodAgri assure qu’il n’y a pas de corrélation possible entre impact de la jaunisse et cultures bio. Quant au réseau d’agriculteurs biologiques d’Île-de-France (Gab), il appelle à la modération des constats trop rapides.

La jaunisse de la betterave, c’est quoi ?

La jaunisse de la betterave est un virus qui entraîne un jaunissement des feuilles et un ralentissement de la photosynthèse*. Ce virus peut engendrer une diminution de rendement* pouvant dépasser les 50 %. Il est véhiculé par un puceron, le Mysus persicae. À ce jour, il n’existe aucun traitement, ni vaccin contre les jaunisses. La seule méthode de lutte consiste à agir contre leur vecteur. 

Pourquoi ce virus fait-il parler dans les médias ? En raison d’un hiver 2019/2020 relativement doux bénéfique aux pucerons, la jaunisse de la betterave a pris des proportions très importantes cette année. À cela s’ajoute que, depuis le 1er septembre 2018, un insecticide contre ces pucerons – une molécule de la famille des néonicotinoïdes* – a été interdit. Face à ces attaques massives de cultures, on parle actuellement d’une crise sanitaire. L’Institut technique de la betterave (ITB) estime que la productivité de cette culture devrait baisser d’environ 40 % dans les zones contaminées (1).

Qu’en est-il sur le terrain ?

Si des agriculteurs bio constatent visuellement un moindre impact de la jaunisse sur leurs betteraves, le bilan général reste nuancé.

Jérôme Fontaine, agriculteur de betteraves biologiques à Sancheville en Eure-et-Loir, témoigne pour DecodAgri : « C’est un constat visuel, on en aura la certitude à la récolte. » En attendant, il préfère rester prudent sur les faibles conséquences du virus sur ses légumes bio. Selon lui, ce résultat peut aussi s’expliquer par un semis* plus tardif et une moindre irrigation.

À noter : semer des betteraves à une date dite tardive permet en principe de se rapprocher de la période où arrivent d’autres insectes, soit cinq semaines après celle des pucerons. Parmi ces autres insectes appelés « auxiliaires » se trouvent des prédateurs du puceron qui, en se nourrissant de lui, permettent de maîtriser en partie sa population.

Autre cas de figure sur la parcelle d’un agriculteur en bio de la Marne : son champ est ravagé par la jaunisse malgré un semis lui aussi tardif. Mais même quand cet agriculteur sème au moment de l’arrivé des auxiliaires, cela ne suffit pas : « On voyait des larves de coccinelles qui mangeaient des pucerons, mais cela n’a rien fait ».

©Institut technique de la betterave

Florent Thiebaut, betteravier à Chaudrey dans l’Aube et conseiller agricole, dresse le même constat. Parmi les agriculteurs qu’il accompagne, un producteur bio a vu sa parcelle ravagée : « Elle est complètement jaune et ne pousse pas. » Concernant les betteraves conventionnelles, selon lui, la différence entre deux passages d’insecticide et aucune intervention est « énorme ». Les agriculteurs qui ont traité sont quand même moins atteint.  « C’est impressionnant », conclut-il.

Florent Thiebaut, agriculteur et conseiller agricole Ceta de Romilly-sur-Seine : « Les parcelles plus petites ne réduisent pas le risque et la conduite en AB non plus »

Pas de corrélation possible selon l’ITB

« Les betteraves bio ne sont ni plus ni moins touchées que les betteraves conventionnelles. » C’est ce qu’affirme de son côté Ghislain Malatesta, responsable expérimentation régionale à l’Institut technique de la betterave (ITB) contacté par DecodAgri. « Toutes les parcelles bio suivies par les délégués régionaux de l’ITB et situées en zone infestée sont touchées par la maladie de la même manière que les parcelles conventionnelles, » renchérit l’Institut sur son site internet (1).  

Des observations ont été faites à l’échelle d’une parcelle, certaines ayant été moins touchées que d’autres. Mais selon Ghislain Malatesta, aucune corrélation entre le niveau d’attaque globale et le mode de culture n’est possible. Car, dresser un bilan sur une ou quelques parcelles ne permet pas d’établir une loi agronomique généralisable.

Cependant, pour confirmer ce constat, l’ITB envisage de faire des prélèvements de feuillage prochainement pour quantifier la charge virale. La mesure des rendements à la récolte permettra ainsi d’être fixé sur la question.

Le réseau des agriculteurs bio reste prudent

Interrogé sur le sujet, Jacques Frings, agriculteur et président du réseau des agriculteurs bio d’Île-de-France (Gab) remarque : « Certains collègues bio se disent moins attaqués. Ils ont le sentiment que proportionnellement, la jaunisse est moins marquée chez eux. L’année est difficile pour beaucoup de cultures, entre sécheresse, jaunisse et difficultés de désherbage, de toute façon les rendements* ne seront pas bons ». 

Selon Jacques Frings, on ne peut pas encore savoir si les betteraves bio sont moins touchées que celle traitées, la jaunisse n’étant pas le seul facteur limitant dans ce système de culture. Le désherbage constitue par exemple un enjeu au moins aussi important étant donné que les herbicides sont interdits en agriculture biologique. « Il faut attendre d’avoir des résultats. Ce ne sont que des bruits de plaine : il faut les modérer », juge-t-il encore.

À retenir : Affirmer que les betteraves bio sont moins attaquées par la jaunisse que les conventionnelles est à ce jour inexact. Si certains agriculteurs bio ont constaté que leurs betteraves se portaient mieux, d’autres n’ont pas vu de différence avec celles traitées. Selon l’Institut technique de la betterave (ITB), aucune corrélation ne peut être faite entre le mode de culture et le niveau d’attaque des pucerons. Même constat pour le réseau des agriculteurs bio d’Île-de-France (Gab) qui appelle à « modérer les bruits de plaine. » Les rendements et les analyses à venir permettront d’ici quelques mois de confirmer ou infirmer ces observations.

*Définitions
Photosynthèse : réaction biochimique qui, à partir de molécules minérales simples (CO2, H2O …), produit des molécules organiques glucidiques de relativement faible masse molaire

Rendement : en agriculture, il s’agit du poids, le volume d’une récolte rapporté à l’unité de surface, souvent exprimé en quintaux ou en tonnes par hectare

Néonicotinoïde : insecticide dérivé de la nicotine, dont le mode d’action cible le système nerveux des insectes

Semis : action de semer, c’est-à-dire de mettre en terre la graine de betterave

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(1) https://web.archive.org/web/20200829003138/http://www.itbfr.org/tous-les-articles/article/news/f-a-q-betterave-sucriere-pucerons-verts-jaunisse-et-neonicotinoides/