Un virus de grippe porcine est propice à une prochaine pandémie

Une série d’articles a alerté fin juin 2020 sur le risque d’une nouvelle pandémie* à partir d’une souche de grippe porcine. L’analyse de l’étude initiale par des virologues montre que le danger immédiat pour l’Homme est loin d’être si urgent.

HuffPost, site web d’informations : « Un virus de grippe porcine a tout ce qu’il faut pour causer la prochaine pandémie »

Libération, quotidien français : « Découverte d’un virus de grippe porcine aux caractéristiques inquiétantes »

Après le Covid-19, la grippe porcine ? C’est ce que laisse supposer différents articles parus fin juin. À l’origine, une publication de la revue scientifique américaine (1), publiée le 29 juin 2020 dans Proceeding of the national academy of sciences (PNAS) et reprise le jour même par l’Agence France presse (AFP).

L’AFP sous-titre dans le corps de sa dépêche : « Un virus de grippe porcine découvert comme propice à une prochaine pandémie* ». Une information jugée alarmante dans le contexte actuel de crise sanitaire du Covid-19 et donc relayée par plusieurs médias nationaux, grand public ou professionnels.

Par exemple, le 29 juin, le Huffington Post reprend la dépêche sous le titre « La prochaine pandémie causée par un virus de grippe porcine ? » (2). Le quotidien Libération évoque le 30 juin un « virus aux caractéristiques inquiétantes » (3). De nombreux autres articles surfent sur la même vague bien que certains journaux, comme Le Monde par exemple, ne reprennent pas cette information ou, comme Europe 1, la relativise en la laissant commenter par un spécialiste de la virologie.

Que dit l’étude initiale ?

Les auteurs sont des scientifiques issus d’universités chinoises et du Centre de prévention et de lutte contre les maladies chinoises. Ils ont analysé les différentes souches d’influenza (autre nom de la grippe) porcine entre 2011 et 2018 grâce à environ 30 000 écouvillonnages nasaux réalisés dans des abattoirs de dix provinces chinoises. Un de ces génotypes* identifié en 2013, le G4 reassortant EA H1N1, est devenu prépondérant chez le porc en Chine.

Pour savoir si la grippe porcine peut contaminer l’Homme et si elle peut se transmettre entre individus, plusieurs analyses ont été faites par les chercheurs chinois.

Le point de départ, des cultures in vitro* du virus (4). Menées avec efficacité sur les cellules humaines, elles laissent supposer que la grippe porcine pourrait se développer chez des êtres humains.

À l’appui, une vérification faite sur les furets, modèles classiquement utilisés pour l’étude de la transmission des virus d’influenza chez l’Homme. Quatre souches de virus ont été ainsi inoculées par voie nasale à trois furets. Ces animaux ont été gravement malades et tous ceux placés en contact direct avec eux ont été infectés. Au total, une douzaine d’animaux à distance ont aussi été infectés, ce qui indique que le virus se propage par les aérosols*. Ces travaux suggèrent que le virus G4 reassortant EA H1N1 pourrait être pathogène* pour l’Homme et qu’il pourrait avoir la capacité de se transmettre entre individus.

Enfin, les auteurs chinois ont cherché à savoir si des travailleurs du secteur porcin auraient déjà été infectés par le virus G4 reassortant EA H1N1. Ils ont mené une enquête sérologique rétrospective chez les travailleurs de quinze élevages et dans la population générale.

Le holà de l’Anses

Interrogé sur le sujet au micro d’Europe 1 le 30 juin, le virologue de l’institut Pasteur Vincent Enouf se fait plus rassurant (5). Il rappelle que ce virus n’est pas transmissible entre les êtres humains. « Cet article serait sorti il y a un an, on n’en aurait pas parlé », temporise-t-il.

Aussi, une équipe de virologues de l’Anses – Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail – de l’Institut Pasteur et de la Coopération agricole a lu l’article paru dans la revue PNAS et a publié une note de lecture sur le site de l’Anses le 8 juillet 2020 (6).

S’ils relèvent la véracité des éléments scientifiques relayés par les médias et la dépêche de l’AFP, ils concluent à l’absence de risque immédiat pour l’Homme, tout au moins dans un cadre pandémique, même si deux cas de contamination avérée ont été recensés en Chine en 2016 et 2018.

Selon les virologues français, la dominance du génotype* G4 reassortant EA H1N1, constatée par les scientifiques chinois, relève sans doute des circonstances : « Cette étude ne porte que sur un nombre très restreint de souches virales au regard de la population porcine du pays. L’analyse d’un plus grand nombre de souches récentes permettrait de confirmer si ce génotype* se maintient et dans quelle proportion ».

De même, pour eux, la responsabilité de ce génotype* dans l’augmentation du nombre de cas d’infections grippales relève de l’hypothèse. « Des études de pathogénicité et de transmission chez le porc seraient nécessaires pour l’étayer », écrivent-ils.

Une dangerosité difficile à calculer

Dans leur note de lecture, les virologues critiquent également la présence, en tous les cas à de tels niveaux, de ce virus dans la population des travailleurs du secteur porcin et dans la population générale. « Les séroprévalences* annoncées de 10,4 % chez les travailleurs et de 4,4 % dans la population générale sont vraisemblablement surestimées », du fait des probables, mais non comptées, réactions croisées avec d’autres souches. Les auteurs chinois calculent un facteur de risque et l’annoncent plus élevé chez les travailleurs du secteur porcin.

Les critiques des virologues sont assez claires : « L’absence d’immunité vis-à-vis de ces virus porcins dans la population générale peut difficilement être affirmée sur la seule base des résultats de cette étude. »

Une pandémie de grippe porcine est-elle à craindre chez l’Homme ?

À ce jour, seuls deux cas d’infections humaines par des virus de ce génotype G4 reassortant EA H1N1 ont été rapportés en Chine : un adulte de 46 ans en 2016 et un enfant de neuf ans en 2018. Dans les deux cas, les patients vivaient à proximité d’élevages de porcs et ont développé une grippe sévère. Aucune transmission interhumaine n’a été documentée.

Toutefois, on pourrait imaginer des infections asymptomatiques ou non identifiées, comme le laisse penser l’étude de prévalence de l’article des chercheurs chinois, la transmission du virus chez les furets et la distance entre ce génotype et un virus proche, le H1N1pdm, qui circule déjà dans la population humaine.

« Cependant, sans même présumer de sa pathogénicité chez l’Homme, la route est longue avant qu’une infection n’acquière un caractère pandémique, et de multiples facteurs, pour beaucoup inconnus, entrent en jeu », préviennent encore les virologues français.

En présentant sa lecture critique, l’Anses elle-même résume sa position : « Toutes les caractéristiques ne sont pas réunies pour que ce virus provoque une pandémie chez l’Homme. » D’autant plus que ce n’est pas la première fois qu’on repère un réassortiment entre un virus d’influenza porcine et le virus pandémique H1N1pdm, déjà connu chez l’Homme, sans que ceux-ci ne provoquent de pandémie*.

À retenir : Il est exagéré de pronostiquer une nouvelle pandémie humaine à partir d’un virus de la grippe porcine identifié en Chine. Un virus se diffuse depuis plusieurs années dans les populations de porcs en Chine et peut infecter les furets, animal modèle pour l’étude de la grippe humaine, et se transmettre entre furets proches ou éloignés. Des analyses sérologiques indiquent que des travailleurs du secteur porcin auraient plus de risques d’être infectés par ce virus. Pourtant, seuls deux cas de contamination ont été avérés et aucune transmission inter-humaine n’est documentée. De nombreux facteurs, pour certains encore inconnus, doivent être réunis, ce qui n’est pas le cas de ce virus, pour provoquer une pandémie humaine.

*Définitions
Pandémie : selon l’Organisation mondiale de la santé, on parle de pandémie en cas de propagation mondiale d’une nouvelle maladie

Génotype : ensemble des gènes d’un individu. Il diffère du phénotype qui est l’expression de certains de ces gènes
 
Aérosol : suspension de très fines particules solides ou liquides dans l’air ou dans un gaz

Pathogène : qui est à l’origine d’une maladie

Séroprévalence : évaluation de la proportion de personnes contaminées dans une population plus globale et dans un temps déterminé grâce à la détection des anticorps spécifiques d’une maladie

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(1) https://web.archive.org/web/20200713151046/https://www.pnas.org/content/early/2020/06/23/1921186117

(2) https://web.archive.org/web/20200706193722/https://www.huffingtonpost.fr/entry/prochaine-pandemie-virus-grippe-porcine-etude_fr_5efa3f65c5b6acab28458aae

(3) https://web.archive.org/web/20200630193757/https://www.liberation.fr/direct/element/decouverte-dun-virus-de-grippe-porcine-aux-caracteristiques-inquietantes_115697/

(4) https://web.archive.org/web/20200713151046/https://www.pnas.org/content/early/2020/06/23/1921186117

(5) https://web.archive.org/web/20200701205205/https://www.europe1.fr/sante/faut-il-sinquieter-du-nouveau-virus-de-grippe-porcine-un-virologue-se-montre-rassurant-3978481

(6) https://web.archive.org/web/20200711085134/https://www.anses.fr/fr/content/la-d%C3%A9tection-d%E2%80%99un-nouveau-virus-de-la-grippe-du-porc-en-chine-souligne-l%E2%80%99importance-de