La confusion règne autour de l’utilisation des produits phytosanitaires dans l’agriculture biologique. Certains affirment qu’elle n’en utilise jamais, d’autres qu’elle n’a pas droit aux « pesticides de synthèse » mais peut utiliser des produits naturels. Un résumé plus juste, mais trompeur car certaines substances autorisées en bio font débat. Les dérivés du cuivre, par exemple, sont obtenus par synthèse chimique.
Jean-Loup Salzmann, ancien président de la Conférence des Présidents d’Université : « Dites la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et 60 Millions de consommateurs, vous allez tolérer longtemps que Biocoop trompe volontairement ses clients sur les qualités de ses produits ? Les produits bio sont traités avec des pesticides (dont le sulfate de cuivre produit de synthèse)! »
« Sans pesticide », affiche la vitrine de ce magasin Biocoop. Une mention qui n’a pas manqué de faire réagir sur les réseaux sociaux. En 2019, cet argument marketing avait pourtant déjà valu à la marque de se faire épingler (1) : l’enseigne de produits biologiques, qui avait mis en avant un jus de pomme « sans pesticide » avait dû admettre que la formulation méritait d’être nuancée.
Biocoop, enseigne de magasins spécialisés en produits biologiques : « Santé ! À l’occasion de la Semaine pour les alternatives aux pesticides (SPAP) 2019, les magasins Biocoop vous proposent un jus de pommes sans pesticides. Dont les bénéfices soutiendront les actions menées en faveur des alternatives aux pesticides chimiques de synthèse. »
Yann Duroc, Dr génétique végétale & Ingénieur Agronome : « Bon l’Agence de la Transition Écologique, la label Agriculture Ecologique (AB) : 1/ respect de l’environnement comparée a l’agriculture conventionnelle, ca depend : des fois oui, des fois non, des fois c’est kifkif 2/ pas de pesticide : FAUX 3/ meilleur pour la santé : Jamais Prouvé. »
L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), qui sur son site internet présentait les produits issus de l’agriculture biologique comme « n’ayant pas utilisé de pesticides* » a également corrigé le tir en ajoutant la mention « de synthèse » au texte initial (2).
Mais au fait, c’est quoi un pesticide ?
« Pesticide » est un terme générique ; Pest signifie « ravageur » ou « maladie » et cide « tuer ». L’Anses – Agence nationale de la sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail – lui préfère l’expression « produit phytopharmaceutique » dont elle donne la définition suivante : « préparation destinée à protéger les végétaux et les produits de culture » (3). On parle également de produit phytosanitaire. Est ainsi désignée toute substance utilisée dans la lutte contre les organismes considérés comme nuisibles : champignons, insectes, mauvaises herbes, etc.
Pesticides naturels ou de synthèse : quelle différence ?
Quelle distinction faire entre pesticides naturels et de synthèse ? Les premiers sont formulés à partir de molécules d’origine végétale, animale ou minérale ; les seconds, de molécules artificielles inventées par l’homme. Naturels ou de synthèse, leur fabrication nécessite des procédés plus ou moins complexes. Ils partagent également une même finalité : protéger les cultures.
Des pesticides qui répliquent la nature
Là où les choses se compliquent un peu, c’est qu’il est aussi possible de reproduire des molécules naturelles en laboratoire. On sait ainsi parfaitement fabriquer des pyréthrinoïdes sur le modèle de la pyréthrine (4), un insecticide naturel présent dans certains chrysanthèmes. Les pesticides ainsi obtenus sont rangés dans la catégorie « de synthèse ».
Oui, l’agriculture bio utilise des pesticides
Bien comprendre le terme « pesticide » et faire la distinction entre substances naturelles et de synthèse aide à lever le flou qui entoure l’utilisation des pesticides en agriculture biologique. Ainsi, selon les principes fondateurs de la fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique – Ifoam (5), tout produit de synthèse est interdit en bio. Les producteurs engagés dans ce mode de production restent cependant autorisés à utiliser des « pesticides », comme précisé dans l’annexe II du règlement européen (CE) n°889/2008 (6). Vingt-six substances y sont listées, toutes devant être issues ou dérivées de substances naturelles.
Mais certains produits autorisés font débat
Pour autant, certains produits autorisés en bio suscitent la polémique, y compris parmi ses partisans. Des phéromones de synthèse sont par exemple autorisés pour le piégeage de certains insectes (7). L’huile de paraffine est un dérivé du pétrole. Le cuivre est aussi très contesté : prisée pour ses propriétés fongicides, la fameuse « bouillie bordelaise » est un mélange de chaux et de sulfate de cuivre… Lequel est obtenu industriellement comme sous-produit du décapage chimique du cuivre par l’acide sulfurique, procédé relevant de la chimie minérale de synthèse (8).
Naturel, mais toxique pour l’environnement
Le cuivre est également un métal lourd qui s’accumule dans le sol et qui ne se dégrade pas. Sa toxicité pour les macro-organismes est avérée. Dans une expertise collective scientifique (9), l’Inra – Institut national de la recherche agronomique – pointe à la fois son impact sur l’environnement mais aussi les contradictions qui entourent son utilisation en bio. Côté santé, l’Anses a rendu un avis global concluant à l’impossibilité de se prononcer « quant à un risque ou une absence de risque » faute de données de surveillance.
Le bio est-il meilleur pour la santé ?
Les produits bio « sont aussi meilleurs pour votre santé », affirme le site de l’Ademe (1). Malgré les controverses qui entourent certains produits, les contraintes que s’impose ce mode de production limitent en effet le recours aux pesticides de synthèse ; est-il pour autant possible de se positionner sur la question du bénéfice pour la santé humaine ? Pour le chercheur britannique Robin Mesnage, auteur d’un article paru dans la revue scientifique « Current Opinion in Toxicology », « il n’existe pas de preuves suffisantes pour conclure que [manger bio] peut avoir des avantages pour la santé » (10).
En l’absence de réponse fiable, manger ou produire bio ou non relève d’un choix individuel, sans opposer l’un à l’autre.
À retenir : Oui, l’agriculture biologique utilise des pesticides si on se fonde sur la définition générique du terme. En revanche, ils répondent à l’obligation d’être issus ou dérivés de substances naturelles afin que l’environnement ait la capacité de les dégrader. Ils sont donc différents des pesticides dit « de synthèse », qui sont des molécules artificielles inventées par l’homme ou copiant des substances présentes à l’état naturel. Malgré tout, certains produits autorisés en bio sont controversés car ils sont issus de la chimie de synthèse : c’est le cas du cuivre et de ses dérivés que l’environnement ne parvient pas à dégrader.
Définitions Pyréthrine : ensemble de substances d’origine végétale aux propriétés insecticides. Elles sont présentes à l’état naturel dans les fleurs de plantes comme le pyrèthre et le chrysanthème Phéromones : substances chimiques émise par un être vivant à dose infime. Elles et provoquent chez ses congénères un comportement spécifique (sexuel, maternel, défense, peur, etc). Fongicide : substance destinée à protéger les végétaux des attaques de champignons parasites. (A ne pas confondre avec les antimycosiques, à usage médical) |
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(4) https://web.archive.org/web/20191021205030/http://www.societechimiquedefrance.fr/Pyrethrines.html
(7) https://web.archive.org/web/20200505190146/https://agriculture.gouv.fr/quest-ce-que-le-biocontrole