Le 27 novembre 2020, le député écologiste Yannick Jadot affirmait sur Twitter que la France est le pays qui consomme le plus de pesticides en Europe. Une conclusion relayée et débattue depuis sur le réseau social. Est-ce vrai ? Peut-on comparer les chiffres des pays européens ?
Yannick Jadot, eurodéputé EELV : « La France, qui a le triste record de consommation de pesticides en Europe, sort tardivement de l’omerta organisée sur les cancers liés à ces produits. Des drames humains cachés pour servir un productivisme qui appauvrit les paysans et la nature »
Emmanuel Ducros, journaliste agriculture à L’Opinion : « Faux! La France n’a pas le « triste record de la consommation de pesticides » en Europe. Elle est dans la moyenne européenne des utilisations au mètre carré. Comparer les valeurs absolues du Luxembourg et de la France n’a aucun sens, on est d’accord ? »
D’où viennent les chiffres ?
Pour savoir si la France détient ou non le « triste record de consommation de pesticides en Europe », il faut en premier lieu regarder quels chiffres sont disponibles.
Tout d’abord, quand on parle de consommation de pesticides, on parle de leur vente sur le territoire. Autrement dit, lorsqu’il est affirmé que la France est le pays qui consomme le plus de pesticides ou celui qui en utilise le plus, cela signifie que c’est le pays qui vend sur son territoire le plus de produits phytosanitaires.
Dans le cas français, les chiffres disponibles sont fondés sur les déclarations des bilans annuels des ventes de produits phytosanitaires par les distributeurs agréés (1), communiqués à la banque nationale des ventes de produits phytosanitaires.
Si on se rapporte à ces données brutes, la France est le premier pays européen consommateur de pesticides : en 2018, elle en a vendu 85 000 tonnes sur le territoire français, devant l’Espagne avec 61 000 tonnes et l’Allemagne avec 45 000 tonnes (2).
Mais ces données brutes ne peuvent pas aboutir à une comparaison fiable. Car chaque pays vend des quantités de pesticides en fonction des surfaces de ses terres agricoles. Or, en l’état, ces chiffres ne prennent pas en compte les différences de superficies. Si un pays a davantage de terres agricoles, il consommera davantage de pesticides. Autrement dit, plus un pays est grand, plus il consomme en quantités brutes. Et la France est le pays le plus grand, en superficie agricole, de l’Union européenne (3).
Face à cette absence de comparatifs fiables, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) reprend ces données et les rapporte aux surfaces agricoles utiles (SAU*), celles destinées exclusivement à la production agricole (4). Selon ces chiffres, la France est le neuvième pays européen consommateur de pesticides : en 2018, elle aurait vendu sur son territoire 4,45 kg à l’hectare, derrière notamment les Pays-Bas (8,79 kg/ha) et la Belgique (7,59 kg/ha).
Toutefois, là encore, ces résultats mis côte-à-côte sur cette carte de la FAO ne peuvent pas être comparés. S’ils sont fiables à l’échelle d’un territoire, chaque pays utilise son propre indicateur de calcul pour quantifier le nombre de ventes de pesticides sur son territoire. En conséquence, la FAO reprend des chiffres qui n’ont pas tous la même base de calcul et ne peuvent donc pas être comparés les uns aux autres.
Pas de comparaison possible
Pour permettre la comparaison des données, les experts de huit pays européens, dont la France, s’étaient réunis à Bruxelles dans les locaux du centre européen de recherche (JRC). À l’ordre du jour, la présentation de la méthode de calcul de la consommation de pesticides de leur pays.
Le rapport publié par le JRC (5) à la suite de cette rencontre écrit : « Actuellement, les données sur la consommation de pesticides collectées par Eurostat – le site de la statistique européenne – sont si hétérogènes qu’elles ne peuvent pas être utilisées en tant que telles pour tirer une conclusion sur la consommation de pesticides dans l’Union européenne ».
Alberto Pistocchi, chargé de projet scientifique au sein de la direction des ressources durables du JRC et ayant collaboré au rapport, précise à DecodAgri : « L’échantillon de données que nous avons collecté couvre presque tous les plus grands pays de l’Union européenne (France, Allemagne, Espagne, Italie, Danemark, Pays-Bas, Belgique, Irlande, Royaume-Uni) et nous acquérons des données d’autres pays. Cependant, les données varient considérablement tant en termes d’informations disponibles que dans les années auxquelles les statistiques se réfèrent. Cela ajoute de la complexité au travail d’estimation que nous avons tenté ».
Développer des indicateurs communs
Dans l’optique d’aboutir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable, cette rencontre vise à instaurer « un cadre d’action communautaire » définit par la directive européenne 2009/128 (6).
À ce titre, l’article 15 de cette directive prévoit le développement d’indicateurs de risques harmonisés (HRI), qui permettent d’estimer les tendances des risques liés à l’utilisation de pesticides pour chacun des pays (7). En ce sens, deux ont été établis en 2019 : le premier HRI correspond à la somme des quantités de substances actives* vendues en année N. Il s’agit des substances chimiques qui entrent dans la composition d’un pesticide. Et le second HRI est la somme du nombre de dérogations d’urgence accordées.
Cela étant, si les quantités de substances actives* vendues peuvent être mises côte-à-côte, ces données ne peuvent pas être comparées de manière fiable pour obtenir la consommation spatiale et temporelle de pesticides de chacun des pays.
Pourquoi ? Si on peut déduire qu’un produit acheté sera consommé, il est en revanche difficile de savoir où et quand. « Il y a un biais de temps, car on observe que lorsque l’interdiction d’un produit est annoncée, la vente de ce produit augmente l’année précédente car les acheteurs font du stock qu’ils consommeront l’année suivante. Il y a aussi un biais d’espace car on connaît le code postal des acheteurs de produits mais pas le lieu de l’épandage* », explique à DecodAgri François Hissel, chef du département Système d’observation et de données de l’Office français de la biodiversité.
À retenir : À ce jour, affirmer que la France détient le record de consommation de pesticides en Europe est faux. Car, d’une part, chaque pays utilise des quantités de pesticides en fonction de sa surface de terres agricoles. Plus le pays est grand, plus il vend de pesticides. Et d’autre part, même si la FAO a refait les calculs en ce sens, les résultats obtenus se fondent sur des indicateurs différents pour chacun des pays. Afin d’obtenir des données fiables comparables, il faut attendre qu’un modèle statistique européen sur cette thématique voit le jour.
| *Définitions SAU ou Surface agricole utile : indicateur statistique destiné à évaluer le territoire consacré à la production agricole. La SAU est composée de terres arables (grandes cultures, cultures maraîchères, prairies artificielles…), surfaces toujours en herbe (prairies permanentes, alpages) et cultures pérennes (vignes, vergers…). Elle n’inclut pas les bois et forêts. Elle comprend en revanche les surfaces en jachère (comprises dans les terres arables). Substance active : substance chimique qui entre dans la composition d’un produit phytosanitaire ou d’un médicament. Epandage agricole : technique agricole consistant à répandre divers produits sur des zones cultivées, forêts, voies ferrées, marais |
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(2) https://web.archive.org/web/20201207072620/http://www.fao.org/faostat/en/#home
(3) https://web.archive.org/web/20201207072620/http://www.fao.org/faostat/en/#home
(4) https://web.archive.org/web/20201207072620/http://www.fao.org/faostat/en/
