L’élevage gaspille de la nourriture utilisable par l’Homme

« L’élevage utilise des terres agricoles qui pourraient servir à l’alimentation humaine », « sans élevage, on pourrait nourrir plus de monde » : voilà des affirmations qui reviennent souvent sur les réseaux sociaux et qui font réfléchir bon nombre de consommateurs. Est-ce vrai ? Sur quels chiffres se fonder ?

Paul Neau, membre de l’association négaWatt et vice-président de Solagro : « La consommation de viande et de lait mobilise plus de …80% de la surface agricole utile FR nécessaire à notre alimentation (26 millions d’hectares des 28 Mha de surface agricole FR). »

Franc Aller, qui reprend une citation de Pierre Rigaux « naturaliste indépendant » : « S’il n’y avait plus d’élevage, les cultures serviraient principalement à l’alimentation humaine & on aurait moins besoin de terres agricoles [celles] qui ne serviraient plus à l’alimentation agricole pourraient être réensauvagées. »

Différencier terres arables* et sols non cultivables

Dans son dernier rapport « Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture » dédié à l’élevage (1), la FAO – Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture – indique que oui : « l’élevage est le premier utilisateur des ressources terrestres de la planète, avec près de 80 % de la superficie agricole totale, [dont] 4,8 milliards d’hectares dédiés à l’agriculture. »

Mais, toujours d’après les chiffres de la FAO (1), sur ces 80 %, les pâturages représentent 87 % de ce qui est utilisé par l’élevage. Il y a ainsi 3,4 milliards d’hectares de pâturage et 0,5 milliard d’hectares plantés en cultures fourragères. Or, les pâturages correspondent à des surfaces non cultivables, car trop sèches ou trop froides pour être cultivées, et l’herbe n’est pas assimilable par l’Homme.

Une meilleure efficience protéique chez les animaux que chez les Hommes

La part de terres arables* utilisées pour nourrir les troupeaux serait-elle mieux valorisée si elle était directement destinée à l’Homme ? Pas forcément !

Si la plupart des travaux de recherche affirment que les animaux ont besoin de consommer davantage d’énergie et de protéines végétales qu’ils n’en produisent pour l’alimentation humaine dans le lait, les œufs ou la viande, ils ne tiennent pas compte du fait que les matières premières végétales consommées par ces animaux ne sont en réalité pas toutes consommables en l’état par l’être humain. C’est le cas notamment des fourrages et coproduits issus d’industries agroalimentaires ou de bioraffineries.

En prenant en compte cet aspect, les animaux peuvent avoir un rendement d’efficience de conversion des protéines végétales supérieur à l’Homme. En d’autres termes, en consommant des matières premières végétales consommables par l’Homme, ils sont capables de produire plus de protéines que n’en apporteraient ces végétaux s’ils étaient directement ingérés par l’Homme.

C’est d’ailleurs « l’un des grands enjeux de l’élevage », comme l’explique Philippe Faverdin, chercheur à l’Inra, dans une interview pour Web-agri (2). Selon lui, « il faut travailler davantage sur l’efficience que sur la production des protéines. En faisant cela, on peut espérer faire des économies sur le coût alimentaire et réduire les impacts environnementaux. »

Pour évaluer cet indicateur de compétition entre la consommation par les animaux et leur production consommable par l’Homme, des chercheurs ont établi le calcul suivant (3) : kg de protéines consommables [par l’Homme – NDLR] produites sur l’exploitation/kg de protéines végétales consommées par les animaux.

À la suite de leurs calculs réalisés pour chacune des production (bovins laitiers, bovins et ovins viande, porcins, poulets de chair et poules pondeuses) ils affirment que :

  •  « L’élevage est moins en compétition avec l’alimentation humaine qu’il n’est souvent dit »
  •  « Tous les systèmes d’élevage ont la capacité de contribuer de manière positive à la production alimentaire de protéines pour l’Homme, à condition qu’ils consomment beaucoup de végétaux non valorisables en alimentation humaine (fourrages, coproduits). »

Les ruminants, souvent incriminés, ne sont d’ailleurs pas moins efficients que les autres animaux, et d’autant plus s’ils sont élevés dans des systèmes herbagers. L’ensemble de ces travaux sont consultables en libre-service sur la revue Inrae productions animales (4).

À retenir : Il est trompeur d’affirmer que l’élevage gaspille des surfaces et de la nourriture destinées à nourrir l’Homme. D’abord parce qu’une grande partie (87 %) des surfaces utilisées par l’élevage ne sont pas cultivables. Aussi, comme l’indiquent notamment des chercheurs de l’Inrae, la plupart des animaux sont producteurs nets de protéines : même s’ils consomment des matières premières utilisables par l’Homme, ils produisent davantage de ressources en lait, viande ou encore œufs que ce qui aurait pu être valorisé par l’Homme sans l’intermédiaire animal.

*Définitions
Terres arables : contrairement aux sols non cultivables, les terres arables peuvent être labourées ou cultivées

Efficience : capacité de rendement, de performance

Rendement d’efficience de conversion des protéines : capacité d’un animal à produire des protéines par rapport à une quantité de matières premières végétales ingérées dont une partie est consommable par l’Homme

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(1) https://web.archive.org/web/20200428194016/http://www.fao.org/3/i0680f/i0680f.pdf

(2) https://web.archive.org/web/20191028054810/http://www.web-agri.fr/conduite-elevage/alimentation/article/p-faverdin-il-faut-travailler-sur-l-efficience-proteique-plutot-que-la-production-1172-143651.html

(3) https://web.archive.org/web/20180617091700/https://www.cambridge.org/core/journals/animal/article/redefining-efficiency-of-feed-use-by-livestock/3493931B226C13A4FADA178B78B8F04E

(4) https://web.archive.org/save/https://productions-animales.org/article/view/2355