Pesticides : les zones de non-traitement sont insuffisantes pour protéger les riverains

Pour protéger les riverains des produits phytosanitaires, des « ZNT riverains » ont été instaurées. Ces « zones non traitées » ou « zones de non-traitement » font l’objet d’un vif débat depuis l’évocation de leur mise en place. Les ZNT aujourd’hui en vigueur sont souvent considérées comme trop faibles par les associations environnementales. Ces inquiétudes sont-elles fondées ? Les ZNT sont-elles suffisantes pour protéger les riverains ? Comment sont-elles établies ? Décryptage.

Tweet du 19/05/20 archivé sur le site internet WayBack Machine

France Nature Environnement, association environnementale : « Le droit de vivre #LoinDesPesticides est de bon sens. Pourtant, l’obtention de Zones Non Traitées aux #pesticides à proximité des lieux de vie se révèle être un parcours semé d’embûches. Rétrospective d’un combat qui dure depuis trop longtemps. »

Tweet du 02/10/19 archivé sur le site internet WayBack Machine

Nous voulons des Coquelicots, association environnementale : « [A VOS PLUMES] 3 jours de rab’ pour la consultation sur les #ZNT. Pour rappeler l’évidence : ces distances sont une insulte à la science et à notre santé, car les #pesticides ne respectent pas les décrets, volent, ruissellent et se déposent partout. »

Les ZNT riverains représentent la distance minimale entre la zone à protéger – les habitations -, et le végétal ou la surface qui reçoit directement le produit phytosanitaire, lorsque ce dernier est utilisé par voie aérienne.

Elles se différentient des ZNT spécifiques aux lieux accueillant des personnes vulnérables (crèches, écoles, maisons de retraite par exemple) et des ZNT relatives aux points et cours d’eau.

Ce décryptage se focalise sur les ZNT riverains, appelées aussi « ZNT » par simplification dans l’article, qui sont au cœur de la controverse dans le débat public.

Que dit la réglementation ?

Depuis le 1er janvier 2020 en France, l’utilisation de produits phytosanitaires, ou pesticides, à proximité des habitations, est soumise à une réglementation. [1] Cette dernière fixe trois distances de non-traitement différentes (figure 1) :

  • 20 mètres incompressibles pour les produits les plus dangereux [2]
  • 10 mètres pour les cultures « hautes » (arboriculture, viticulture, arbres et arbustes)
  • 5 mètres pour les autres cultures (céréales, maraîchage…)
Figure 1 : Présentation des ZNT riverains. © ministère de l’Agriculture [3]

À noter : les ZNT spécifiques aux lieux accueillant des personnes vulnérables [4] et aux points et cours d’eau [5] existaient déjà avant le 1er janvier 2020.
>> Voir encadré en bas de l’article.

Y a -t-il des dérogations ?

Oui. Les agriculteurs ont la possibilité de réduire les ZNT riverains, s’ils respectent deux conditions [1] :

  • Une « charte d’engagement » ou « charte riverain » est mise en place dans leur département, et validée par leur préfet, à l’issue d’une concertation locale entre utilisateurs des produits, riverains, élus, associations et tout autre acteur concerné.
  • Ils utilisent du matériel anti-dérive, c’est-à-dire qui limite la dérive des produits phytosanitaires lors de leur application. La liste de ces matériels [6] est actualisée régulièrement par le ministère de l’Agriculture, qui précise que leur performance a été préalablement évaluée par des instituts de recherche. A ce jour, la mise en place de haies [7] ou de murs ne permet pas de réduire les ZNT [8].

Ainsi, lorsque ces deux conditions sont respectées,

  • La distance incompressible des 20 mètres pour les produits les plus dangereux ne change pas.
  • La limite des 10 mètres pour les cultures « hautes » passe à 5 mètres.
  • La limite des 5 mètres pour les autres cultures et la viticulture passe à 3 mètres.

À noter :  ces réductions de ZNT ne s’appliquent pas aux parcelles voisines des lieux accueillant des personnes vulnérables et aux points et cours d’eau. [9]
>> Voir encadré en bas de l’article

Des « chartes riverains » ont ainsi été mises en place dans de nombreux départements. En avril 2021, seuls seize d’entre eux n’avaient aucun projet de charte validé (figure 2)

Figure 2 : Etat des lieux de l’adoption de chartes dans les départements français. © APCA

Tous les produits phytosanitaires sont-ils concernés par ces ZNT ?

Non. Les produits de biocontrôle* ainsi que les produits autorisés en agriculture biologique sont exemptés de ZNT. C’est également le cas des « produits composés d’une substance de base*, précise le ministère [1]. Ce ne sont pas des produits phytosanitaires nécessitant une autorisation de mise sur le marché (AMM)*. »

Toutefois, dans le cas où l’un de ces produits serait considéré comme « préoccupant », ou que le fournisseur aurait spécifié une ZNT particulière, la réglementation s’applique [1].

À noter : les engrais*, qui peuvent également s’appliquer par pulvérisation, ne sont pas concernés par cette réglementation.

Les ZNT sont-elles les seules mesures qui participent à la sécurité des riverains ?

Non. Au moment de la mise en place des ZNT riverains, il existait déjà des dispositifs visant à limiter les risques de dispersion des produits phytosanitaires dans l’environnement. Il est notamment interdit de traiter par voie aérienne lorsque le vent a un degré d’intensité supérieur à 3 sur l’échelle de Beaufort, soit à partir de 19 km/h.

Des règles sont également définies pour chaque produit [10] dans les autorisations de mise sur le marché (AMM)*, délivrées par l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.

Aussi, de manière générale, les agriculteurs recherchent les conditions optimales au moment de traiter (hygrométrie*, vent, températures par exemple), afin que les produits utilisés soient le plus efficace possible [11].

À lire aussi sur DecodAgri : Non, les agriculteurs ne traitent pas la nuit pour se cacher

Comment ces distances ont-elles été instaurées ?

Les distances de sécurité ont été instaurées sur la base des recommandations de l’Anses, publiées le 14 juin 2019 [7]. L’Agence y préconise, pour les résidents et « les personnes présentes pendant ou après pulvérisation », la mise en place de distances de sécurité ainsi que l’intégration éventuelle de mesures de réduction de la dérive de pulvérisation*.

Elle recommande d’établir des distances « au moins égales » aux distances introduites dans les évaluations des risques inhérents à l’utilisation de produits phytosanitaires, voire supérieures, par mesure de précaution, en particulier pour les produits classés cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction. Ces distances sont basées sur le type de culture et le matériel utilisé.

Ces évaluations des risques sont réalisées sur la base d’une méthodologie validée de l’Efsa, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, datant de 2014 [12]. Elles permettent de délivrer, ou non, les AMM* des produits. « L’exposition est estimée à des distances de 2, 3, 5 et 10 mètres pour des applications avec un pulvérisateur à rampe (cas des grandes cultures) et à une distance de 10 mètres pour les vergers et les vignes avec un pulvérisateur à jet porté (pulvérisation vers le haut) », détaille l’Anses. Distances reprises, pour certaines, dans la réglementation du 1er janvier 2020.

Par ailleurs, si l’exposition à un produit à une distance de 10 mètres excède un certain seuil (la valeur toxicologique de référence), le produit n’obtient pas son AMM*, a précisé l’Anses à DecodAgri.

Ces distances sont-elles suffisantes ?

Pas toujours, selon le Conseil d’État. C’est pourquoi cette réglementation est amenée à évoluer. Saisi par une multitude d’organisations qui jugeaient les ZNT insuffisantes ou excessives [13], le Conseil d’État a rendu son jugement le 26 juillet 2021 [14].

Il constate que les ZNT correspondent aux recommandations de l’Anses, « dont les avis sont fondés sur les données scientifiques actuellement disponibles. Elles prennent en compte la dangerosité des produits et la pratique agricole. » Pour autant, le Conseil d’État estime que l’État a mal interprété certaines recommandations et décide de lui accorder six mois pour renforcer sa réglementation [15] autour de trois points : 

  1. L’Anses recommande une distance minimale de 10 mètres entre les habitations et les zones d’épandage de tout produit classé cancérogène, mutagène ou toxique, sans distinguer si leurs effets sont avérés, présumés ou seulement suspectés. Or, les distances d’épandage des produits dont la toxicité n’est que suspectée ont été fixées à 5 mètres sur les cultures basses. Les ZNT doivent donc être augmentées pour les produits qui ne sont que « suspectés » d’être cancérogènes, mutagènes ou toxiques, estime le Conseil d’État.
  2. Il demande également à l’État de prendre des mesures pour protéger les personnes travaillant à proximité des zones d’épandage, ce que la réglementation ZNT riverains actuelle ne fait pas.
  3. Il estime que « les chartes d’engagement […] doivent prévoir l’information des résidents et des personnes présentes à proximité des zones d’épandage en amont de l’utilisation des pesticides. »

Enfin, le Conseil d’État annule le processus d’élaboration des chartes, sans toutefois en condamner le principe. Autrement dit, il estime qu’elles sont légitimes, mais que la façon dont elles ont été mises en place n’est pas légale. « Il impose qu’elles soient soumises à une procédure de consultation du public […] et pas uniquement à une consultation des riverains ou de leurs représentants », a précisé à DecodAgri le ministère de l’Agriculture. La méthode d’élaboration des chartes avait déjà été retoquée par le Conseil constitutionnel en mars 2021.

Au total, la réglementation mise en place au 1er janvier 2020 restera en vigueur jusqu’à ce que l’État la modifie, comme demandé par le Conseil d’État. Les chartes déjà mises en place sont maintenues, mais aucune nouvelle charte ne peut désormais être actée tant que la procédure d’élaboration n’aura pas été modifiée, a également confirmé le ministère.

À retenir : Non, les ZNT riverains en vigueur depuis le 1er janvier 2020 ne sont pas insuffisantes. Elles respectent les recommandations de l’Anses, elles même fondées sur une évaluation des risques inhérents à l’utilisation des produits phytosanitaires. Les distances de sécurité sont donc cohérentes avec les connaissances scientifiques actuelles et les données à disposition. Toutefois, le Conseil d’État oblige l’État à renforcer sa réglementation pour que certains produits bénéficient d’une distance de sécurité plus importante, et que la protection des personnes travaillant à proximité des zones d’épandage soit prise en compte.

ENCADRE
L’utilisation des produits phytosanitaires à proximité des points et cours d’eau est soumise à des ZNT depuis 2006. [3]

L’utilisation des produits phytosanitaires à proximité des lieux accueillant des personnes vulnérables est quant à elle subordonnée à la mise en place de mesures de protection adaptées telles que des haies, des équipements pour le traitement ou l’aménagement des dates et horaires de traitement, depuis 2014. Lorsque de telles mesures ne peuvent pas être mises en place, l’autorité administrative détermine une distance minimale adaptée en deçà de laquelle il est interdit d’utiliser ces produits à proximité de ces lieux. [4]
*Définitions
Biocontrôle : ensemble de méthodes de protection des végétaux basé sur l’utilisation de mécanismes naturels [source ministère de l’Agriculture]
 
Substance de base : substances principalement non utilisées comme des produits phytosanitaires, mais qui sont utiles pour la protection des végétaux et dont l’intérêt économique pour faire approuver ces substances peut être limité, selon l’Itab (Institut technique de l’agriculture biologique)
 
AMM (Autorisation de mise sur le marché) : pour être commercialisé, un produit phytosanitaire doit obtenir préalablement une autorisation de mise sur le marché
 
Engrais : substances organiques ou minérales qui apportent aux plantes des éléments directement utiles à leur nutrition
 
Hygrométrie : grandeur physique qui rend compte de l’humidité de l’air
 
Dérive de pulvérisation : quantité de pesticide qui est transportée hors de la zone de pulvérisation (zone non traitée) par l’action des courants d’air pendant le processus d’application [source Organisation internationale de normalisation]

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Liens archivés sur le site WayBack Machine

[1] https://web.archive.org/web/20211103163657/https://agriculture.gouv.fr/distances-de-securite-pour-les-traitements-phytopharmaceutiques-proximite-des-habitations

[2] https://web.archive.org/web/20210830161915/https://www.lafranceagricole.fr/r/Publie/FA/p1/Infographies/Web/2021-08-30/liste_ppp_20m-17082021-vf%20(5).pdf

[3] https://web.archive.org/web/20210120055208/https://agriculture.gouv.fr//phytosanitaires-mieux-proteger-les-riverains-un-nouveau-dispositif-partir-du-1er-janvier-2020

[4] https://web.archive.org/web/20210506115925/https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000425570/

[5] https://web.archive.org/web/20210809032614/https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000030680009/

[6] https://web.archive.org/web/20201202033033/https://agriculture.gouv.fr/materiels-permettant-la-limitation-de-la-derive-de-pulverisation-des-produits-phytopharmaceutiques

[7] https://web.archive.org/web/20211024092022/https://www.anses.fr/fr/system/files/PHYTO2019SA0020.pdf

[8] https://web.archive.org/web/20211110105724/https://hautsdefrance.chambre-agriculture.fr/fileadmin/user_upload/National/FAL_commun/publications/Hauts-de-France/environnement-zone-non-traitement-ZNT.pdf

[9] https://web.archive.org/web/20201126010927/https://agriculture.gouv.fr/produits-phytosanitaires-le-gouvernement-renforce-les-mesures-de-protection-des-riverains

[10] https://web.archive.org/web/20201204073112/https://normandie.chambres-agriculture.fr/conseils-et-services/produire-thematiques/cultures/phytosanitaires/reglementation-et-traitements/

[11] https://web.archive.org/web/20210226013408/https://www.arvalis-infos.fr/pulverisation-sur-cereales-soigner-les-conditions-d-application-ds-phytos-@/view-14762-arvarticle.html

[12] https://web.archive.org/web/20210117235749/https://www.efsa.europa.eu/fr/efsajournal/pub/3874

[13] https://web.archive.org/web/20210727150815/https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2021-07-26/437815

[14] https://web.archive.org/web/20210904093242/https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/pesticides-le-conseil-d-etat-ordonne-que-les-regles-d-utilisation-soient-completees-pour-mieux-proteger-la-population

[15] https://web.archive.org/web/20210831145253/https://www.lafranceagricole.fr/actualites/cultures/phytosanitaires-le-gouvernement-a-six-mois-pour-revoir-sa-copie-sur-les-znt-1,0,3363224001.html