Pourquoi les agriculteurs traitent-ils la nuit ? « Pour se cacher » répondent certains riverains. Pourtant, comme en témoignent les agriculteurs à DecodAgri et sur les réseaux sociaux, les raisons sont d’une toute autre nature.
Guigui Perderau, agriculteur du Loiret : « #pulvérisation Mais pourquoi les agriculteurs sortent-ils la nuit ? Pas de vent et hygrométrie supérieur pas moins de 80 % entre 21h30 et 9h cette nuit. Nous avons donc fait 4 pulvérisateurs depuis hier soir 21h30. Fongicide orge de printemps, désherbage maïs et soja. »
Lino, polyculteur-éleveur de Vendée : « Cette nuit, c’était fongicide ! Hygrométrie, pas de vent = efficacité et réduction de dose ».
Il est parfois affirmé que les agriculteurs traitent dans leurs champs la nuit pour se cacher des riverains mécontents. Si ni le syndicat FNSEA, ni l’association Nous voulons des Coquelicots contactés par DecodAgri ne relèvent de telles allégations dans leur entourage, c’est en tout cas ce qui est régulièrement affirmé par des agriculteurs sur le terrain et sur les réseaux sociaux.
« Au fait, tu es repassé tard hier soir pour traiter ? »
C’est le cas par exemple de Christophe Haas, agriculteur. Il raconte à DecodAgri qu’il a été interpellé à plusieurs reprises sur le sujet par des riverains à coups de : « Au fait, tu es repassé tard hier soir pour traiter ? ». Depuis quelques années, il s’est engagé dans une démarche de réduction des produits phytosanitaires et « cela implique parfois de passer plus régulièrement, mais à des plus petites doses. » Une pratique qui lui vaut souvent des remarques.
Cet agriculteur du Bas-Rhin prend le temps d’expliquer à ceux qui l’interpellent la raison pour laquelle il traite la nuit : il cherche « toujours des conditions optimales : quasi-absence de vent, minimum 65 % d’hygrométrie ». Fort heureusement pour lui, « le dialogue reste assez cordial. Même si certains ne partagent pas forcément son avis, la plupart comprennent, note-t-il. Je n’ai jamais eu de soucis d’agressivité, peut-être la chance d’être dans un territoire encore rural ».
D’autres encore témoignent sur Twitter de leurs difficultés à traiter la nuit, comme Christophe B, agriculteur de la Baie de Somme, qui écrit : « Oui, si vous voyez un pulvérisateur dans les champs en pleine nuit, ce n’est pas pour se cacher mais pour rechercher les conditions optimales de traitement (qui permettent selon les cas des réductions de dose). La coupure automatique GPS aide pour faire ça » (1). Ou encore Guigui Perderau, agriculteur du Loiret, ou Lino, polyculteur-éleveur de Vendée (voir les deux tweets en haut de cet article).
Optimiser l’efficacité des traitements
Les agriculteurs traitent-ils vraiment la nuit pour se cacher ? Non. Les raisons sont davantage environnementales et économiques. En principe, lors d’un traitement phytosanitaire, les agriculteurs cherchent à optimiser son efficacité et ainsi à limiter la quantité de produit utilisée. Cela passe par la réalisation d’un épandage dans les meilleures conditions possibles.
L’hygrométrie*, va notamment être un critère très important, en particulier pour les produits systémiques*. C’est ce qu’affirme Arvalis (2), institut technique agricole spécialisé pour les productions végétales : « Les bonnes conditions d’hygrométrie commencent à partir de 60 %, ce qui est souvent le cas le matin et le soir. »
Les traitements doivent également être réalisés en l’absence de vent et sous des températures clémentes. Si en sortie d’hiver, ces conditions peuvent être remplies tout au long de la journée, durant une partie des mois de mai et juin, les traitements seront plutôt recommandés « en fin de nuit ou en matinée », détaille encore Arvalis.
« Les agriculteurs doivent travailler aussi la nuit »
Julien Baduraux, agriculteur de Meurthe-et-Moselle, en témoigne dans une vidéo sur Twitter : « Si je réalise un traitement fongicide sur blé la nuit, ce n’est pas pour utiliser un produit interdit, pas pour gêner les voisins non plus […], mais pour profiter des meilleures conditions d’application possibles : pas de vent, meilleure hygrométrie, de la rosée. La plante est plus réceptive et sera mieux protégée. Cela permet aussi de réduire la quantité de produit phytosanitaire utilisée à l’hectare ».
Julien_54, agriculteur de Meurthe-et-Moselle : « Protection des blés contre la maladie avec un fongicide. Pourquoi faire ça la nuit ? Tout est expliqué dans la vidéo. »
Une réalité du terrain partagée par Nous voulons des Coquelicots, engagée contre les pesticides de synthèse. Contactée par DecodAgri, l’association affirme que « dans l’ensemble, les gens proches des Coquelicots comprennent les raisons pour lesquelles les agriculteurs doivent travailler aussi la nuit et que ça n’est pas pour se cacher : il y a des raisons agronomiques et/ou d’organisation du travail de la ferme. »
Protéger les insectes pollinisateurs
Autre raison d’effectuer un traitement phytosanitaire la nuit dans les champs : la protection des insectes pollinisateurs. Les agriculteurs effectuent parfois des traitements contre certains ravageurs de leurs cultures, par exemple, en pleine période de floraison, comme les pucerons verts sur pois protéagineux.
Avec leurs piqûres, ces insectes ravageurs peuvent entraîner « l’avortement des boutons floraux, une réduction du nombre de gousse » et par conséquent, diminuer le rendement* de la culture (jusqu’à 30 q/ha), détaille Terres Inovia – Institut technique de la filière des huiles et protéines (3). Dans ce cas, l’objectif du traitement de nuit est de protéger les abeilles et autres pollinisateurs.
L’emploi d’insecticides et d’acaricides est d’ailleurs strictement encadré par la réglementation en période de floraison ou de production d’exsudats* et ne sera possible que si, et seulement si, « les deux conditions suivantes sont réunies », comme le souligne la Draaf (direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt) de Bourgogne-Franche-Comté (4) :
- « Le produit employé a la mention « abeilles »
- « Le traitement a lieu en dehors des périodes de butinage donc tard le soir de préférence (les abeilles peuvent être actives du lever du jour au coucher du soleil ».
Laurent Gasc : « Le voisin voyant le tournesol. – » Si vous devez traiter à l’insecticide pour protéger votre culture, sachez que j’ai une ruche à 100 m de votre parcelle… » « Entendu voisin, si je vois une attaque de puceron je pulveriserai de nuit. Le dialogue avant tout et tout ira bien »
Aude Pocchiola, femme d’agriculteur de Bourgogne : « La nuit est tombée, les abeilles sont retournées à la ruche, nous partons faire un fongicide sur les colzas contre le sclérotinia. »
À retenir : Il est faux d’affirmer que les agriculteurs réalisent les traitements dans leurs champs la nuit pour se cacher des riverains. Si certains sont effectués le soir, les principales raisons sont de garantir une meilleure efficience* des produits de protection des cultures appliqués, d’utiliser moins de phytos et de protéger les insectes pollinisateurs.
*Définitions Hygrométrie : mesure du taux d’humidité dans l’air Produits systémiques : produit phytosanitaire véhiculé par la sève, qui lui permet d’agir au niveau de tous les organes de la plante Bas-volume : technique de pulvérisation, où le volume de bouillie ne dépasse pas 100 l/ha Rendement : en agriculture, il s’agit du poids, le volume d’une récolte rapporté à l’unité de surface, souvent exprimé en quintaux ou en tonnes par hectare Exsudat : liquide suintant naturellement d’un végétal Efficience : capacité de rendement, de performance |
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