Tomates espagnoles, blé russe, bananes dominicaines… Les produits bios importés suscitent la méfiance des consommateurs. À tort ou à raison ?
Carrefour France : « Il y aurait des BIO différents Non, ils respectent tous la même règlementation européenne. Et au final, c’est bon pour notre planète #ActForFood »
Hemipresente en réponse à Carrefour France : « C’est faux. Le bio d’importation hors-UE n’est soumis qu’aux normes de son pays d’origine en matière de bio. Autant dire que les ananas et avocats des pays les plus pauvres d’Amérique du sud doivent être des bijoux de pureté… »
Le bio importé, c’est pas vraiment du bio » ; « la réglementation diffère selon les pays » ; « certains autorisent des produits interdits chez nous ». Ces affirmations reviennent souvent dans la presse et sur les réseaux sociaux dès lors qu’il est question de produits bios en provenance de l’étranger.
Les consommateurs ont-ils raison de se méfier ? Si l’Union Européenne (UE) possède bien une législation stricte et éprouvée [1] en la matière, affirmer que tous les produits bios d’importation répondent aux mêmes normes que ceux produits sur le sol français est exagéré. L’UE elle-même reconnaît que le système est perfectible, surtout en ce qui concerne les denrées importées de pays tiers.
30 % des produits bios consommés en France viennent de l’étranger
Thé d’Asie, café sud-américain, kiwis néo-zélandais, légumes espagnols, saumon scandinave… 31 % des produits bios consommés en France sont importés, pour moitié de pays hors Union Européenne [2].
Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg : la France importe aussi en grande quantité des céréales bios russes ou chinoises, utilisées pour la fabrication d’aliment du bétail, ainsi que des matières premières destinées à l’industrie agro-alimentaire.
Comment ces différentes denrées, qu’elles soient produites dans l’Union Européenne ou dans des pays tiers, obtiennent-elles le label bio ?
Le cahier des charges de l’agriculture biologique est le même dans les 27 États membres
Les aliments bios produits en Europe répondent tous aux mêmes exigences.
Créé en 1985, le label AB a d’abord été encadré par un cahier des charges franco-français. En 2009, ses critères ont été harmonisés avec celui des autres pays de l’UE et le logo Eurofeuille [3] rendu obligatoire pour identifier les produits certifiés conformes au mode de production biologique [4].
Depuis, les règles sont les mêmes dans tous les États membres [5]. Un producteur de pommes bios italien n’a pas plus le droit d’utiliser un produit phytosanitaire interdit par la règlementation européenne que son homologue polonais ou français, sauf en cas de dérogation accordée à titre temporaire – ce qui arrive même en France [6].
Chaque État peut cependant décider de contraintes supplémentaires au vu de la façon dont il interprète la réglementation. Ainsi, les producteurs bios français n’ont plus l’autorisation de commercialiser leurs tomates issues de serres chauffées en hiver [7], pratique permise partout ailleurs en Europe et dans le monde.
Ailleurs, des conditions de production parfois « très différentes » malgré les équivalences
Hors Union Européenne, treize pays possèdent une réglementation sur l’agriculture biologique [8].
Leurs cahiers des charges, leurs processus de certification et de contrôle ont été reconnus équivalents par la Commission européenne. À ce titre, les denrées bios importées depuis ces pays en Europe bénéficient automatiquement du logo Eurofeuille.
Il existe pourtant des différences. Les États-Unis peuvent ainsi exporter en Europe leurs produits agricoles biologiques « bien qu’il existe de petites différences entre les normes », admet la Commission européenne [9] ; la Tunisie s’est alignée sur la réglementation européenne en interdisant en 2013 deux insecticides (la roténone et l’extrait de nicotine) mais continue d’autoriser l’huile de neem, interdite en Europe pour un usage agricole [10].
Par ailleurs, « les conditions de production dans les pays tiers pouvant être très différentes de celles en vigueur dans l’UE, il arrive qu’il ne soit pas possible d’appliquer exactement les mêmes règles en matière de production et de contrôle », pointe un audit de la Cour des comptes européenne mené en 2012 [11].
Cet audit mentionne également que « l’insuffisance des informations contenues dans les rapports annuels fournis par les pays tiers reconnus équivalents et le fait que la Commission n’effectue pas régulièrement des visites sur place dans ces pays empêchent cette dernière de garantir que les normes de production et l’efficacité des systèmes de contrôle des pays tiers de la liste restent équivalentes. […] la dernière visite en Israël remonte à 1999, et celle au Costa Rica à 2000. »
La certification internationale fonctionne mais des failles subsistent à tous les niveaux
Enfin, comment des denrées produites hors UE et dans des pays ne bénéficiant pas de ce principe d’équivalence peuvent-elles être labellisées bios sur le territoire européen ?
C’est le cas de nombreux produits de consommation courante, comme le thé, le café ou les fruits. Beaucoup de céréales sont aussi importées depuis la Chine, le Kazakhstan ou la Turquie.
En l’absence de réglementation reconnue équivalente, des contrôles sont effectués sur place par un organisme certificateur agréé [12]. Ecocert, par exemple, possède 28 antennes internationales et couvre 130 pays [13]. Les standards appliqués sont ceux de l’UE, ou s’en approchent. Puis à l’arrivée sur le sol européen, les documents de certifications sont vérifiés et des analyses peuvent être effectuées sur les lots pour détecter d’éventuels pesticides.
Là aussi, l’audit de 2012 a révélé des failles dans le système : « déficiences graves » en Inde, « faiblesses dans le système de contrôle des produits biologiques en provenance de Chine », « contrôles insuffisants » dans certains états-membres – notamment la Tchéquie, la Bulgarie ou l’Italie, autant de portes d’entrées sur le territoire de l’UE pour des produits alimentaires qui, une fois estampillés Eurofeuille, peuvent ensuite circuler librement sur le marché commun.
Un nouveau règlement plus strict sur les importations en 2022
À la suite à cet audit, un rapport spécial publié en 2019 [14] a conclu que « la surveillance du système de contrôle des produits biologiques importés s’est améliorée en partie [mais] certains défis restent à relever ».
L’agriculture biologique attend l’entrée en vigueur d’un nouveau règlement européen en 2022 [16]. Celui-ci prévoit notamment un renforcement des contrôles sur les importations en provenance de pays tiers.
Entre autres, la fin du principe d’équivalence : à l’issue d’une période de transition de cinq ans, toutes les importations de produits bios devront être contrôlées à la fois au départ des pays exportateurs et à l’arrivée dans l’UE. Cela sera-t-il suffisant ?
À retenir : Trois cas de figure encadrent la labellisation des produits bios importés en France :
- Lorsqu’ils sont produits sur le sol européen, tous doivent respecter la même réglementation pour être labellisés.
- S’ils proviennent de pays ayant mis en place une réglementation comparable à celle de l’UE, ils bénéficient d’une équivalence et sont labellisés sans davantage de vérifications.
- Et s’ils sont importés de pays dépourvus de réglementation, ils doivent être certifiés sur place par un organisme agréé et doivent subir des contrôles à leur arrivée en Europe.
Des défaillances ont été démontrées pour chacun de ces cas de figure. En 2017, un taux d’anomalie de 28 % a été relevé par la DGCCRF. La réglementation européenne évoluera vers un durcissement des contrôles sur les produits bios importés en 2022.
*Définitions Cahier des charges : document précisant l’ensemble des règles attaché à un mode de production. Organisme certificateur : organisme indépendant habilité à valider le respect d’un cahier des charges en opérant des contrôles. Eurofeuille : label permettant l’identification commerciale des produits respectant la réglementation de l’Union européenne sur l’agriculture biologique. |
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[2] https://web.archive.org/web/20210709142048/https://www.lafranceagricole.fr/actualites/gestion-et-droit/agence-bio-six-mille-nouveaux-producteurs-bio-en-2020-1,0,2901883403.html
[5] https://web.archive.org/web/20201205115241/https://www.agencebio.org/decouvrir-le-bio/ses-garanties/
[6] https://web.archive.org/web/20200922143727/http://itab.asso.fr/activites/derogation2020.php
[10] https://web.archive.org/web/20210325092230/http://www.ctab.nat.tn/pdf/R_CCPV2_fr.pdf
[12] https://web.archive.org/web/20200702082836/http://www.fao.org/3/y1669f/y1669f04.htm
[13] https://web.archive.org/web/20201124233758/https://www.ecocert.com/fr-FR/implantations