C’est un des raccourcis parfois utilisé pour réclamer une réduction drastique de l’élevage. Ainsi, selon les chiffres qui circulent toujours dans le débat public, l’élevage émettrait 14,5 % de gaz à effet de serre, tandis que le transport ne dépasserait pas 14 %. Des données pourtant rectifiées depuis et qui se fondent sur des sources et des méthodes de calcul différentes.
L’élevage industriel participe + au réchauffement climatique que le secteur des transports (voitures, bateaux, avions, trains réunis).
— Hugo Clément (@hugoclement) October 29, 2017
Hugo Clément, journaliste : « L’élevage industriel participe + au réchauffement climatique que le secteur des transports (voitures, bateaux, avions, trains réunis) » – 29/10/2017
L’ONG Greenpeace France : « Diminuer sa consommation de viande et de produits laitiers, c’est aussi protéger la planète. A lui seul, l’élevage industriel est responsable de 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial » – 04/11/2018
« L’élevage pollue plus que le transport. » Cette comparaison fausse a été publiée pour la première fois en 2006 dans un document de la FAO (1) – Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture – « Livestock’s Long Shadow ». Les auteurs ont très vite rectifié leurs conclusions (2), mais elles circulent toujours…
Pourquoi fausse ? Ces deux chiffres sont issus deux sources différentes qui n’utilisent pas la même méthode. L’un tient compte des seules émissions directes pour les transports (Giec – Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). L’autre cumule les émissions directes et indirectes du bétail (FAO).
Émissions directes et indirectes
Pour le transport, c’est le chiffre du Giec qui est avancé. Il calcule les émissions directes générées par les seuls véhicules en circulation.
Or, les données de la FAO sur l’élevage cumulent les émissions directes, celles liées à la digestion des ruminants et à la gestion du fumier, et les émissions indirectes. Ces dernières comprennent notamment la production et l’acheminement des aliments pour le bétail, ainsi que la transformation et le transport de la viande.
Pour obtenir une comparaison fiable il faut intégrer les émissions indirectes dans le calcul des émissions des transports, comme par exemple celles émises lors de la fabrication et la livraison des véhicules.
Quel est le « vrai » chiffre de l’élevage ?
En France le calcul le plus rigoureux émane du Citepa (3) – Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique. Il estime qu’en 2017 l’agriculture et la sylviculture (la création et l’exploitation rationnelle des forêts) atteignent à elles deux 19 % d’émissions de gaz à effet de serre (GES). Le transport, lui, émet 29 % de GES, soit 10 % de plus.
Revenons sur les GES : souvent décriés, ils sont indispensables pour empêcher les rayons du soleil de quitter l’atmosphère et maintenir une température supportable sur terre. Mais quand ils sont trop importants, ils empêchent les rayons venus du sol de sortir de l’atmosphère, créant l’effet de serre. Ils se répartissent principalement entre le gaz carbonique (CO2), le protoxyde d’azote (N2O) et le méthane (CH4).
Concernant l’agriculture française, 75 % de ses émissions de GES viennent de l’élevage. Et sur cette part, les bovins sont responsables des deux tiers (4). C’est l’alimentation des bêtes qui émet le plus de GES (5), suivie par la « fermentation entérique » des ruminants (bovins, ovins, caprins, équins), c’est-à-dire leurs rots et flatulences. Or, pour les flatulences, le gaz émis est du méthane (CH4). Même si sa durée de vie dans l’atmosphère ne dépasse pas 12 ans contre 100 ans pour le CO2, le méthane a un pouvoir de réchauffement 21 à 31 fois plus élevé que celui du gaz carbonique, d’où sa dangerosité.
Les prairies et les haies stockent le carbone
Les bovins sont donc sur la sellette. Mais tout n’est pas si simple. Car les prairies et les haies qui les entourent captent le CO2. Et elles n’existeraient pas sans les ruminants, seuls capables de brouter et de transformer l’herbe en lait et viande. Or, elles retiennent et compensent l’équivalent de 30 % des émissions des troupeaux.
Selon Jean-Louis Peyraud de l’Inrae (6), la suppression de l’élevage conduirait immanquablement à supprimer ces prairies et à les labourer pour implanter d’autres cultures. Ces labours libéreraient le carbone stocké.
Les éleveurs diminuent l’empreinte de leur troupeau
En plus des haies et prairies, l’évolution des méthodes d’élevage permet aussi de diminuer cette empreinte. Les émissions de GES ont baissé de 11 % entre 1990 et 2010 en France, tout en maintenant globalement les volumes de production. Et le potentiel de réduction se chiffrerait à 20 % en France.
Les analyses menées dans le cadre du programme « Carbon Dairy » (7) suggèrent des pistes à explorer : la réduction des apports d’engrais, l’augmentation de la productivité par animal (une vie plus longue, une production de lait optimisée), l’optimisation de l’alimentation (davantage d’herbe, des compléments produits sur place ou en proximité) …
Tout dépend en réalité du mode d’élevage. Il n’y a pas grand-chose de commun entre des feed-lot d’Amérique du Nord qui parquent des dizaines de milliers d’animaux et les élevages français de 60 mères allaitantes en pâture !
En France même, cela varie d’une exploitation à l’autre : selon des études de l’Idele – Institut de l’élevage (8) – la compensation carbone en bovin viande va de 4 % en engraissement de jeunes bovins, à 41 % s’il s’agit de vaches allaitantes en pâturage. En élevage laitier, cela s’échelonne de 8 % avec une alimentation comprenant plus de 30 % en maïs, jusqu’à 49 % en système tout herbe. Enfin dans un rapport publié en 2016 (9), la FAO estime le potentiel de réduction mondial à 30 %.
À retenir : l’élevage pollue moins que le transport. Grâce aux efforts continus sur les techniques d’élevage, les émissions de GES ont baissé de 11 % en 20 ans en France et peuvent encore baisser de 20 %. Enfin, les prairies et les haies compensent 30 % des GES émis par les ruminants.
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(1) https://web.archive.org/web/*/http://www.fao.org/3/a0701e/a0701e00.htm
(5) https://web.archive.org/web/2019*/http://www.fao.org/3/a-i6345f.pdf
(6) https://www.academie-agriculture.fr/publications/articles/que-serait-un-monde-sans-elevage
(9) https://web.archive.org/web/2019*/http://www.fao.org/3/a-i6345f.pdf