Près d’un demi-million de tonnes de substances actives phytosanitaires ont été commercialisées au Brésil en 2018. Plus de la moitié d’entre elles sont interdites sur le sol français. Des denrées alimentaires traitées avec ces produits sont importées du Brésil, l’opinion publique s’en inquiète.
Patrick Hautefeuille : « Brésil, le géant des pesticides. Récente autorisation de + de 380 pesticides dont les 3/4 interdits en France. Et en France nous parlons de ZNT , interdisons 36 molécules à base de Glyphosate… Au moins notre agriculture va mourir en bonne santé » – 22/12/2019
Au moins une 12aine de substances toxiques interdites en Europe sont vendues par #Bayer au #Brésil. Au final, plus d’1/3 des #pesticides utilisés au Brésil sont interdits en Europe, car trop nocifs pour la santé humaine. https://t.co/1SzqUlJI1R pic.twitter.com/IngcJtr7KC
— Bastamag (@Bastamag) July 2, 2019
Le média en ligne Bastamag : « Au moins une douzaine de substances toxiques interdites en Europe sont vendues par Bayer au Brésil. Au final, plus d’un tiers des pesticides utilisés au Brésil sont interdits en Europe, car trop nocifs pour la santé humaine » – 02/07/2019
Entre 30 et 75 % des molécules qui entrent dans la composition des produits phytosanitaires autorisées au Brésil seraient interdites en France. Un peu large comme fourchette… Pour affiner ces différents pourcentages qui circulent dans les médias, il faut comparer le nombre de substances actives bénéficiant d’une homologation dans les deux pays.
Pourquoi les substances actives ? Parce que celles-ci sont « l’ingrédient de base » des produits phytosanitaires (1), autrement dit, la substance chimique qui entre dans leur composition. Mais aussi parce qu’elles sont relativement peu nombreuses au regard des dizaines de milliers de pesticides qu’elles permettent de fabriquer. Ainsi, l’Anses en recense 1 271 (2); l’Anvisa, son équivalent brésilien, en compte 639 (3).
265 substances actives interdites en France
En comparant la base de données du catalogue E-Phy des substances actives répertoriées en France (4) avec les 488 molécules ou agents biochimiques autorisés au Brésil (5), 141 apparaissent comme interdites. 124 ne retournent aucun résultat : certaines substances actives n’ont en effet jamais fait l’objet d’une demande d’homologation en Europe et n’y sont, de fait, pas autorisées. Ces deux derniers chiffres additionnés, soit un total de 265, la proportion de substances actives autorisées au Brésil et prohibées en France se monte à 54,5 %.
Par ailleurs, le site du ministère brésilien de l’agriculture indique que 1 947 nouveaux produits sont en attente de validation. Côté interdictions, l’herbicide paraquat (6), retiré de la vente en Europe depuis 2007 et pointé du doigt pour sa toxicité, ne sera plus autorisé au Brésil en 2022.
Pesticides interdits : une liste « susceptible de changer »
« Il est toutefois possible qu’une interdiction ou un engagement d’éliminer un pesticide […] soit annulé », note le chercheur américain Nathan Donley dans un article de la revue scientifique Environmental Health (7). « L’administration présidentielle nouvellement élue au Brésil est ouvertement hostile aux réglementations environnementales et tentera probablement de renverser les garanties en matière de pesticides dans le pays à l’avenir. Par conséquent, cette liste de pesticides interdits et approuvés est un instantané, et susceptible de changer ».
Reste que le Brésil n’est pas la seule agro-puissance à utiliser des molécules dont l’usage a été banni en France : selon Nathan Donley, les États-Unis demeurent le pays où le plus de substances actives sont autorisées, suivi par la Chine.
Le journal Le Monde : « Le Brésil est dans une situation agronomique catastrophique, avec des sols rendus stériles par l’usage massif de produits phytosanitaires. Il n’y a aucune traçabilité dans ce pays, nous serons incapables de contrôler la qualité de ce qu’on importe » – 01/07/2019
Des denrées traitées avec des pesticides interdits en France sont importées du Brésil
Un autre sujet d’inquiétude que celui du nombre de substances actives proscrites en France et autorisées au Brésil mobilise l’opinion publique. Celui de voir arriver dans les assiettes européennes des denrées alimentaires traitées avec ces molécules interdites.
En 2019, le Dr Larissa Mies Bombardi, professeure de géographie à l’Université de São Paulo, s’appuie sur des données publiques pour lister le nombre de substances actives prohibées par l’UE et autorisées au Brésil qui sont utilisées pour produire des denrées alimentaires exportées vers le sol européen : le soja en totalise 35 et les agrumes 33 (8).
Ces chiffres sont vérifiables en croisant les données d’homologations de l’Anses (9) et de l’Anvisa (10). Ainsi, pour n’en citer que trois, les substances actives acéphate (voir ici et ici), atrazine (voir ici et ici), et lactofen (voir ici et ici) sont autorisées au Brésil et interdites en UE, et se retrouvent dans le soja, les arachides, les agrumes, le raisin, la pomme, l’ananas ou encore le maïs, importés sur le sol français.
Des analyses de contrôle sur les produits importés
Comment expliquer alors que des fruits, des légumes ou des céréales traités à l’aide de produits interdits en France puissent y être importés ? En Europe et en France, la réglementation sur la commercialisation d’aliments traités avec des pesticides interdits est autorisée pourvu que les résidus ne dépassent pas la Limite Maximale Résiduelle – LMR (11) – fixée pour chaque substance active. Lorsqu’une substance active n’est pas autorisée en France, cette LMR est par défaut de 0,01mg/kg (12).
En France, c’est la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui procède aux contrôles. Dans son rapport de 2019 (13), le taux de non-conformité des « produits soumis à contrôles renforcés à l’importation » était de 9,3 % » en 2017. Ainsi, sur 621 contrôles, 58 lots ont été déclarés non-conformes et n’ont pas été mis sur le marché. L’administration ne précise toutefois pas le pays de provenance des marchandises contrôlées… Ni combien de lots ne le sont pas.
La colère des agriculteurs
Enfin, côté producteurs, on dénonce une politique commerciale à deux vitesses qui creuse le fossé entre les efforts demandés aux agriculteurs européens et ce qui est toléré au Brésil, où les normes environnementales sont davantage permissives.
Christiane Lambert, présidente du syndicat professionnel agricole FNSEA : « Après Paolo De Castro accueil de Phil Hogan par Joachim Rukwied au COPA-COGECA et échange direct que la Pac et échanges commerciaux. Positif avec Japon&Chine mais pas avec Mercosur quand le Brésil autorise 120 pesticides interdits en Europe. N’importons pas l’agriculture que nous ne voulons pas » – 13/06/2019
À savoir : la France n’exportera plus de produits phytosanitaires interdits Selon le ministère brésilien de l’environnement, la vente de « substances actives chimiques et biochimiques » totalisait 549 280 tonnes en 2018 . Or, une partie de ces produits sont fabriqués en Europe et exportés, dont bon nombre à base de substances interdites sur son sol. En France, l’article 83 de la loi agriculture et alimentation (Egalim) interdira, à partir de 2022, « la production, le stockage et la circulation » de pesticides contenant des molécules prohibées dans l’Union Européenne. |
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(4) https://web.archive.org/web/2019*/https://ephy.anses.fr/
(9) https://web.archive.org/web/2019*/https://doc.data.gouv.fr/