La France perd l’équivalent en surface agricole d’un département tous les 10 ans

En surface agricole, la France perd l’équivalent d’un département tous les dix ans. Ce sont les chiffres qui circulent dans les débats, sur les réseaux sociaux et dans les médias. Certains parlent même d’un département perdu tous les six ou sept ans. Est-ce vrai ? Ces surfaces sont-elles toutes bétonnées ou urbanisées ?

Tweet de Julien Bayou archivé le 13/10/2022 sur le site internet Wayback Machine

Julien Bayou, secrétaire national d’EE-LV : « Aujourd’hui en Normandie, à Ouistreham sur la thématique de l’artificialisation des sols. Tous les 10 ans c’est l’équivalent d’un département qui disparaît sous l’étalement urbain. Avec les écologistes en 2022, on préserve les terres agricoles ! Encore merci pour l’accueil ! »

Tweet de Célia de Lavergne archivé le 02/05/2022 sur le site internet Wayback Machine

Célia de Lavergne, ancienne députée LaRem de la Drôme : « Tous les 10 ans, un département de la taille de la Drôme disparaît sous la bétonisation, mettant en péril nos terres agricoles et la biodiversité ! Notre priorité : zéro artificialisation d’ici 2050, régulation de l’accès au foncier agricole et réhabilitation des friches ! »

Nombreux sont celles et ceux qui affirment qu’en France, les espaces agricoles diminuent de l’équivalent d’un département tous les six à dix ans au profit d’espaces bétonnés ou urbanisés. DecodAgri relève plusieurs approximations dans cette affirmation. Lesquelles ?

Tout d’abord, l’origine de cette affirmation émane d’un référé de la Cour des comptes [1] publié en juillet 2020. Il y est précisé que « 596 000 hectares ont été artificialisés* en France en dix ans ».

Pourquoi est-ce approximatif d’affirmer qu’un département est bétonné tous les dix ans ?

Parce que tout dépend du département pris pour référence. Divers médias donnent comme comparaison « l’équivalent d’un département tel que le Var ou le Nord » puisque ces départements ont une superficie avoisinant les 600 000 hectares, donc proche des 596 000 hectares cités par la Cour des comptes. Parmi les articles de presse, à titre non exhaustif : Le Figaro en 2018 [2]; Le lien horticole en 2020 [3]; Ouest France en 2021 [4].

À titre de comparaison, en prenant comme référence le plus grand département de France métropolitaine qu’est la Gironde, il faudrait parler d’un département perdu tous les 18 ans. En comparant à la Guyane, ce serait un département tous les 140 ans ! À l’inverse, en se référant au plus petit département français – Paris – il faudrait évoquer un département tous les deux mois.

Parce que le nombre de 596 000 hectares est erroné. Issu de l’enquête Teruti-Luca réalisé par le service statistique du ministère de l’Agriculture [5], il ne désigne pas le nombre d’hectares artificialisés, mais le nombre d’hectares de terres agricoles* disparues entre 2006 et 2015. Or, la disparition des terres agricoles n’est pas uniquement due à l’artificialisation. Une partie des terrains devient des sols naturels*, par exemple des sols boisés.

À noter : les usages du sol français se répartissent en trois catégories :  les espaces agricoles* (sols cultivés ou toujours en herbe), les espaces forestiers et naturels* et les espaces artificialisés*.

Combien d’hectares de terres agricoles disparaissent ?

Il y a deux phénomènes à ne pas confondre : l’artificialisation des sols, et la perte de terres agricoles.

Statistiquement, l’artificialisation est définie comme tout ce qui n’est ni un espace agricole ni un espace naturel et forestier. Les sols artificiels* regroupent les constructions (habitats, usines, commerces, etc.), les routes et parkings, les sols nus, les parcs et jardins, les terrains vagues.

Selon la même enquête Teruti-Luca [5], le taux d’artificialisation est de 9 % en 2018 et a grignoté 561 000 hectares de terres agricoles, ainsi que 424 000 hectares forestiers et naturels entre 2006 et 2015.

Graphique 1 : Site internet du gouvernement

Mais cette perte de terres n’est pas uniquement due à l’artificialisation des terres : 561 000 hectares agricoles sont en effet artificialisés. Mais le schéma explicatif ci-dessus indique que dans le même temps, 853 000 hectares redeviennent des sols naturels.

Selon l’expertise collective menée par l’Inrae et l’Ifstarr en 2017 [6], « il est néanmoins clair que les pertes globales de surface agricole sont importantes mais que, pour en comprendre toute la dynamique, il y a lieu de s’interroger tout autant sur les processus qui conduisent à leur artificialisation qu’à ceux qui sont responsables de la déprise agricole ».

Il faut aussi considérer le type de terres concernées : « Ce ne sont pas les mêmes terres agricoles qui sont concernées par les deux phénomènes. Ce sont souvent des terres cultivées, en zone péri-urbaine, qui sont artificialisées tandis que ce sont plutôt des prairies qui deviennent des forêts », explique à DecodAgri Bertrand Schmitt, économiste à l’Inrae qui a participé à l’expertise scientifique.

À cela s’ajoute la grande disparité entre les départements, certains étant plus sujets à l’artificialisation, tandis que d’autres seront davantage grignotés par les espaces forestiers.

Graphique 2 : Agreste – Teruti

Enfin, toute cette dynamique n’est pas marquée dans le marbre : il faut aussi prendre en compte les reprises de sols qui s’opèrent dans le même temps. Par exemple, les espaces agricoles récupèrent 620 000 d’hectares sur les zones naturelles entre 2006 et 2015 et 198 000 sur les sols artificialisés qui redeviennent agricoles.

Comme le montre le graphique 1 (changements d’occupation des sols entre 2006 et 2015), 853 000 hectares agricoles sont devenus des sols naturels en dix ans et 620 000 hectares de terrains naturels sont devenus agricoles, soit un solde de 233 000 hectares agricoles perdus au bénéfice des sols naturels. Et 561 000 hectares de sols agricoles ont été artificialisés pour 198 000 hectares de terrains artificialisés devenus agricoles, soit un solde de 363 000 hectares agricoles perdus au bénéfice des sols artificialisés.

Au total, 596 000 hectares de terres agricoles ont donc disparu en dix ans, entre 2006 et 2015 (39 % de ces 596 000 hectares sont devenus des sols naturels et 61 % sont devenus des terrains artificialisés).

Artificialisation ne veut pas dire bétonisation

Les terrains agricoles qui sont artificialisés deviennent-ils uniquement des espaces bétonnés ou urbanisés ? Non. Car en réalité, l’artificialisation ne veut pas dire bétonisation : les sols artificialisés sont constitués pour 44 % de surfaces imperméables et 56 % de surfaces perméables (parcs, jardins, terrains vagues…) selon l’enquête Teruti-Luca [5].

Une nouvelle définition de l’artificialisation a été ajoutée récemment dans le code de l’urbanisme : « l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage. »  « C’est la première fois que l’artificialisation est définie dans le droit : elle ne se limite pas à l’occupation des sols en surface mais prend en compte les profondeurs », explique Maylis Desrousseaux, juriste ayant pris part à l’expertise collective sur les sols artificialisés. La définition de l’artificialisation et la réversibilité des terrains sont au cœur des enjeux pour atteindre l’objectif de « zéro artificialisation nette », cité dans la loi Climat et Résilience [7].

À retenir : Oui, près de 600 000 hectares de terres agricoles ont disparu entre 2006 et 2015. Mais il est inexact de le comparer à la taille « d’un département français » sans le citer, car les départements ont tous des superficies très variables. Au total, 39 % des terrains agricoles « perdus » sont devenus des sols forestiers ou naturels (par exemple des terrains boisés) et 61 % sont devenus des terrains artificialisés. Enfin, les sols artificialisés ne sont pas tous bétonnés : 44 % sont en effet imperméables (constructions, routes…) et 56 % sont perméables (parcs, jardins, terrains vagues…).

*Définitions
Sols agricoles (ou espaces agricoles) : zones cultivées ou en herbe, comme les prairies, utilisées pour des usages agricoles.

Sols naturels : sols boisés, landes et friches, sols nus naturels et zones sous les eaux.

Sols artificialisés : zones qui ne sont utilisées ni pour des usages agricoles ni pour des usages forestiers et naturels. Cela inclut des zones construites et non construites (parcs, jardins…).

Artificialisation des sols (ou artificialisation des terres) : altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage.

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Liens archivés sur le site internet Wayback Machine

[1] https://web.archive.org/web/20211022083720/https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-11/20201110-refere-S2020-1368-leviers-politique-fonciere-agricole.pdf

[2] https://web.archive.org/web/20220829204738/https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2018/04/20/20002-20180420ARTFIG00005-la-betonisation-de-la-france-se-poursuit-au-detriment-des-surfaces-agricoles.php

[3] https://web.archive.org/save/https://www.lienhorticole.fr/foncier-lequivalent-dun-departement-betonne-en-dix-ans-1,0,436999312.html

[4] https://web.archive.org/web/20210320143752/https://www.ouest-france.fr/environnement/amenagement-du-territoire/la-france-a-perdu-l-equivalent-d-un-departement-de-terres-agricoles-en-dix-ans-7049455

[5] https://web.archive.org/web/20220307120935/https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/

[6] https://web.archive.org/web/20211121164647/https://www.inrae.fr/sites/default/files/pdf/artificialisation-des-sols-rapport-en-francais-1.pdf

[7] https://web.archive.org/web/20220127110934/https://www.banquedesterritoires.fr/loi-climat-et-resilience-ce-quil-faut-retenir-des-mesures-de-lutte-contre-lartificialisation-des