Uniquement des champs à l’horizon et pas un seul arbre en vue… Cette vision en inquiète plus d’un sur les réseaux sociaux. À tort ou à raison ? Les haies disparaissent-elles vraiment du paysage français ? Qui est responsable et où en est-on aujourd’hui ? Décryptage par DecodAgri.
Gobi, commerciale technico-élevage dans le Doubs : « Gngngn à cause de l’agriculture y’a plus d’oiseau gngngn à cause des paysans y’a plus de haie »
Emmanuel Sagot, jeune agriculteur du Pays de la Loire : « J’ai planté 550m de haie en bordure de cette parcelle! Vous avez fait quoi vous? Vous viendrez l’entretenir? Vous me rembourserez les frais annuels d’entretien??? Cessez de donner des leçons. »
Sauvons la biodiversité : « J’estime qu’en finançant la PAC et toutes les aides locales les français ont droit de demander aux agriculteurs de planter des haies, des prairies…Mais voilà le contribuable à juste le droit de payer! Évidemment ça concerne surtout les céréaliers ! Je salue votre effort! »
La haie est un alignement d’éléments végétaux constitué d’herbes, de broussailles, d’arbustes, voire d’arbres. Elle peut avoir été plantée, ou avoir poussé spontanément, être ancienne ou très récente. Elle sert souvent à délimiter deux parcelles agricoles, un cours d’eau, une route, ou un simple chemin.
La haie peut être située en milieu agricole et rural mais elle est également présente en milieu urbain et péri-urbain pour séparer des maisons, ou, autre exemple, pour séparer une maison de la route.
Ce décryptage DecodAgri s’intéresse à la haie présente en milieu agricole et rural.
Les haies se font-elles rares en France ?
Oui. Elles étaient très présentes dans les campagnes françaises au début du XXème siècle, mais elles sont moins nombreuses aujourd’hui. Concrètement, une étude de l’entreprise associative Solagro datée de 2002 constate que près de 70 % des haies ont disparu depuis 1950, soit 1,4 million de kilomètres [1].
« Les haies ont fortement régressé en France dans les années 60-80 à un rythme de 45 000 km par an. Ce rythme est passé à 15 000 km par an dans les années 80-90 pour se stabiliser depuis », détaillent Philippe Pointereau et Frédéric Coulon, auteurs de l’étude.
Pourquoi les haies ont-elles été arrachées ?
Différentes causes sont mises avant :
- L’aménagement foncier rural
Selon l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), en charge du dispositif national de suivi des bocages*, l’une des causes de la rareté des haies est l’aménagement foncier rural débuté dans les années 60, ou plus couramment appelé remembrement [2].
Cet outil juridique, qui relève de l’État, permet aux communes intéressées de redistribuer les parcelles agricoles afin d’avoir des parcelles d’un seul tenant, plus faciles à cultiver, au lieu de parcelles morcelées et de petites tailles. Son fonctionnement et les modalités d’application sont détaillés dans le code rural sur le site internet Legifrance [3].
- La modernisation agricole
La réorganisation des parcelles est un outil qui existe depuis longtemps mais qui était à l’origine peu utilisé. S’il est devenu populaire dans la seconde moitié du XXème siècle, c’est grâce à une autre cause d’arrachage des haies : la modernisation agricole.
Avec l’arrivée des tracteurs de plus en plus imposants, les parcelles cultivables ont dû être agrandies pour faciliter le travail des agriculteurs. Ainsi, les haies qui délimitaient les parcelles ont peu à peu disparu ainsi que celles jugées gênantes pour le passage des engins agricoles.
- Le recul de l’élevage plein air
Dans la publication de Philippe Pointereau et Frédéric Coulon [1], le recul de l’élevage plein air durant la seconde moitié du XXème siècle explique également la disparition des haies. Selon leurs recherches, ce recul a entraîné la diminution du nombre de prairies permanentes*, et les haies et arbres épars qui allaient avec.
À noter : Ces trois causes énumérées ci-dessus concernent les haies champêtres et agricoles. Les haies urbaines sont davantage menacées par les aménagements urbains ou les nouvelles constructions, réalisés par la commune ou les particuliers qui souhaitent modifier leur terrain (agrandissement, remplacement d’une haie par un mur, etc). Les règles de gestion d’une haie par un particulier sont rappelées sur le site internet du gouvernement [4].
Même constat partout en France ?
Non. Si la haie s’est faite discrète en France au fil des ans, ce n’est pas le cas pour l’ensemble du territoire. Une publication du CNRS datée de 2009, et intitulée « Soixante années de remembrement », constate que le nord de la France a été particulièrement touché par les arrachages de haies, alors que le Sud, qui est constitué de parcelles de plus petites tailles par endroits, l’a nettement moins été [5].
La disparition des haies se poursuit-elle aujourd’hui ?
Pas tout à fait. La disparition des haies ne se fait pas au même rythme car des initiatives émergent et le bénéfice des haies dans le paysage français est de plus en plus étudié.
C’est le cas en 1989, avec la création de l’association Prom’Haie qui vise à favoriser le maintien des haies [6]. En 2010, en partenariat avec la fédération nationale des professionnels de l’arbre et de la haie Afac-agroforesterie, c’est le Fonds pour l’arbre de la fondation Yves rocher qui voit le jour pour encourager la plantation de nouvelles haies [7]. Neuf ans plus tard, en octobre 2019, le ministère de la Transition écologique poursuit la dynamique et lance le label haie [8].
Et en juillet 2020, le Guide de gestion durable des haies [9], mis au point dans le cadre du projet Carbocage en lien avec l’Agence de la transition écologique (Ademe) et plusieurs chambres d’agriculture, affirme le rôle essentiel des haies. Selon ce guide, la haie est multifonctionnelle : elle permet « l’alimentation, le refuge et la reproduction de la faune sauvage », le stockage du carbone grâce à la photosynthèse* des arbres présents, l’infiltration de l’eau pour limiter l’érosion des sols, mais aussi, elle sert à protéger les animaux d’élevage de la chaleur l’été.
Plus récemment encore, le gouvernement français a annoncé la plantation de 7 000 kilomètres de haies d’ici à 2022, dans le cadre de son programme « Plantons des haies » [10].
À l’échelle européenne, la politique agricole commune (Pac) a créé des mesures d’éco-conditionnalité en 2003, mises à jour en 2015 [11]. Ces mesures imposent que les éléments en faveur de l’environnement, telles que les haies, doivent être conservés dans le cadre des bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) sous peine de sanctions sur le montant des aides perçues par l’exploitant.
Malgré ces nouvelles initiatives et, « même si les haies sont désormais peu arrachées, certaines [d’entre elles] disparaissent encore aujourd’hui, mais petit à petit : elles sont parfois mal entretenues ou déjà fragilisées et finissent grignotées », explique à DecodAgri Valérie Viaud, chercheuse au sein du service sol agro et hydrosystème à l’Inrae, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement.
À l’heure actuelle, il est difficile de savoir si les plantations de nouvelles haies compensent la disparition des précédentes.
Quelle pl’haie ?
Afin que les haies ne disparaissent pas, elles doivent être entretenues : élagage et taille. Mais par qui ? En principe, c’est le rôle des propriétaires d’entretenir leur terrain, rappelle la chambre d’agriculture de l’Allier [12]. Or, tous les agriculteurs ne sont pas propriétaires de leurs terres.
Dans ce cas de figure, qui s’occupe des haies ? Les agriculteurs ont « 70 % de leurs terres en location, rappelle à DecodAgri Philippe Gachet, éleveur de vaches allaitantes au Gaec des Bayles, en Isère. Pour ma part, les propriétaires me font confiance et je m’occupe souvent de l’entretien des haies. »
Mais une haie a deux côtés et un versant peut appartenir au voisin ou même à la commune : dans cet autre cas de figure, l’entretien de la haie « va dépendre du budget alloué par la commune. Et parfois, l’entretien n’est pas fait et nous ne pouvons plus accéder à nos parcelles avec la moissonneuse ou traverser certains chemins. L’agriculture n’est plus prioritaire dans la gestion des haies », déplore l’éleveur Philippe Gachet.
À retenir : Oui, depuis les années 1960, une partie du territoire français a vu disparaître ses haies pour restructurer la surface agricole cultivable. Mais aujourd’hui, des initiatives de replantation émergent et des mesures de prévention sont mises en place pour accompagner les agriculteurs à préserver la biodiversité de leurs champs.
*Définitions Bocage : assemblage de parcelles (champs ou prairies), de formes irrégulières et de dimensions inégales, limitées et closes par des haies vives bordant des chemins creux Prairie permanente : pâture sur laquelle il n’y a jamais de culture Photosynthèse : processus par lequel les plantes vertes synthétisent des matières organiques grâce à l’énergie lumineuse, en absorbant le gaz carbonique de l’air et en rejetant l’oxygène |
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Liens archivés sur le site internet Wayback Machine
[4] https://web.archive.org/web/20210727100714/https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F614
[6] https://web.archive.org/web/20210305231451/https://www.promhaies.net/lassociation/
[8] https://web.archive.org/web/20210121202532/https://labelhaie.fr/qu-est-ce-que-le-label-haie/
[9] https://web.archive.org/web/20201125102338/https://pays-de-la-loire.chambres-agriculture.fr/publications/publications-des-pays-de-la-loire/detail-de-la-publication/actualites/guide-de-gestion-durable-des-haies/