L’utilisation du cuivre en agriculture, conventionnelle ou biologique, est régulièrement remise en cause. Cet élément chimique est notamment accusé de perturber la vie des sols où il s’accumule. Pourquoi alimente-t-il autant le débat ? Connaît-on vraiment son impact sur l’environnement ? Explications.
Alexandre Carré, ingénieur agronome : « Métaux lourds dans des désherbants, Generation Futures, l’association dirigée par les industriels du bio, porte plainte contre l’État… mais continue de défendre l’usage du cuivre en agriculture bio ! Il n’y aurait pas comme un problème de cohérence ?
Olivier Lelu, fils d’agriculteur : « Pour ce qui est dérangeant est représenté dans ce schéma. On interdit glyphosate et on sauve le cuivre. Alors qu’objectivement il faudrait l’inverse. Un choix politique insupportable, contraire à la science. Le lobby du BIO est bien plus puissant que celui de la chimie ! »
Le cuivre est utilisé sous différentes formes depuis 150 ans pour contrôler diverses maladies fongiques* ou bactériennes, principalement sur vignes, en productions fruitières (arboriculture) et en cultures légumières (y compris la pomme de terre).
Il constitue souvent la seule matière active* homologuée en agriculture biologique ayant un effet fongicide* efficace sur une grande variété de maladies. C’est pourquoi son éventuelle interdiction inquiète les filières bio qui en dépendent. Il peut également être utilisé dans les engrais* foliaires [1], qui sont pulvérisés sur le feuillage, comme fertilisant ou correcteur de carences puisqu’il est nécessaire au bon fonctionnement des plantes [2].
Comment le cuivre se retrouve-t-il dans le sol ?
Le cuivre est présent dans les roches et les sols sous forme naturelle, mais en quantités assez faibles. Les principales sources externes de cuivre proviennent de l’utilisation de produits phytosanitaires ainsi que des épandages d’effluents d’élevage (lisiers de porcs, fientes de volailles, etc.), explique le Groupement d’intérêt scientifique sols (GIS sols) dans son rapport « L’état des sols de France ». [3]
Les applications régulières de produits phytosanitaires à base de cuivre ont conduit à une accumulation parfois massive de cet élément dans les premiers centimètres du sol [2], puisqu’il ne s’évacue que très peu. « Toutefois, ce phénomène est majoritairement dû à des pratiques plus anciennes (il y a plusieurs dizaines d’années), où les doses utilisées étaient largement supérieures aux doses actuelles, nuance pour DecodAgri Lionel Ranjard, directeur de recherche en écologie du sol et agroécologie à l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae).» Aujourd’hui, le principal apport de cuivre dans les sols agricoles provient de l’épandage de déjections animales, riches en cuivre du fait de l’alimentation des animaux, complète-t-il.
Ainsi, les teneurs en cuivre dans les sols peuvent atteindre 200, voire 500 mg/kg, contre 3 à 100 mg/kg dans les sols non cultivés, et 5 à 30-45 mg/kg dans les sols agricoles non traités au cuivre [2] (figure 1).
On retrouve des concentrations très marquées dans certaines régions viticoles, comme le Bordelais, ou dans l’ouest du bassin méditerranéen où les vignobles et les arbres fruitiers sont nombreux.
Quel est l’impact du cuivre sur l’environnement ?
Des concentrations excédentaires de cuivre dans les sols ont un effet délétère sur plusieurs organismes vivants importants pour l’équilibre du sol, relate l’Inrae dans une expertise scientifique publiée en janvier 2018 [2]. Certaines espèces de champignons, utilisées comme agents de protection des plantes, sont elles aussi impactées par les applications de cuivre, ce dernier ayant un effet fongicide, mentionne l’institut.
L’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a quant à elle publié en janvier 2018 un rapport d’évaluation de la substance active cuivre, qualifiée de « composés du cuivre » [4]. « Mettant en évidence un manque de données pour conclure objectivement sur le seuil de toxicité du cuivre, l’Efsa a misé sur le principe de précaution, établissant un risque préoccupant pour l’environnement, ce qui a conduit à de nouvelles restrictions d’usage », décrypte Battle Karimi, directrice scientifique du bureau d’études NovaSol Experts et interrogée par DecodAgri.
Quelles sont ces restrictions ?
Se fondant sur le rapport de l’Efsa, la Commission européenne, en charge de l’approbation des substances actives, a renouvelé celle du cuivre, du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2025. Cette substance active est toutefois classée comme « substance candidate à la substitution » du fait de ses propriétés de persistance et de toxicité. [1]
Ce statut impose la réalisation d’une « évaluation comparative » lors de l’examen de toute demande d’autorisation de mise sur le marché d’un produit phytosanitaire contenant du cuivre : cette évaluation permet de s’assurer qu’il n’existe pas de solution plus sûre et aussi efficace [5].
Le renouvellement de l’approbation a également été assorti d’une réduction des quantités utilisables : une moyenne de 4 kg de cuivre par an et par hectare lissés sur 7 ans, soit 28 kg par hectare sur 7 ans, laissant une marge de manœuvre en cas de forte pression sur une année.
Ces restrictions ne sont pas nouvelles, puisque les quantités autorisées ont déjà baissé ces dernières années (figure 2). Certains pays européens, comme les Pays-Bas et le Danemark, ont même interdit l’usage du cuivre comme produit phytosanitaire [2]. De son côté, la France est engagée dans la réduction de son utilisation en agriculture. Le ministère de l’Agriculture a dévoilé le 15 juillet 2019 sa feuille de route à ce sujet [6].
Quel est l’impact environnemental de cette nouvelle dose autorisée ?
Des chercheurs ont réalisé une synthèse bibliographique internationale concernant l’impact toxicologique du cuivre sur l’environnement [8]. Leur analyse, publiée en 2021, a d’abord mis en lumière un manque d’études et de connaissances sur le seuil de toxicité de la substance, ainsi que sur ses effets aux doses fixées dans la réglementation, à savoir 4 kg/ha/an aujourd’hui. Des lacunes ont également été identifiées sur les protocoles de recherche des études existantes, empêchant de conclure objectivement sur le sujet.
« Il y a notamment un manque de connaissance des effets à moyen et long terme, qui ne sont que très peu étudiés. Pourtant, toute perturbation de l’environnement induit un effet à court terme, potentiellement délétère sur les organismes, qui peut persister ou non à plus long terme », explique Battle Karimi, co-auteure de l’étude. Par ailleurs, les doses étudiées sont généralement bien plus élevées que les doses réglementaires, et appliquées en une fois, ce qui diffère des réalités de terrain, où les applications de microdoses sont démultipliées.
La synthèse des études analysées, bien que peu nombreuses, a montré que les premiers effets délétères du cuivre observés sur la biodiversité du sol apparaissent à 200 kg de cuivre par hectare et par an, soit une dose 50 fois plus élevée que la limite aujourd’hui autorisée. « Il convient toutefois de différencier l’impact de la dose annuelle appliquée, de l’impact du cuivre déjà accumulé dans le sol », poursuit la chercheuse. Les conclusions de l’analyse bibliographique parlent d’un effet néfaste pour certains organismes à partir de 200 kg de cuivre par hectare accumulés dans le sol, soit environ 50 mg/kg : des concentrations retrouvées « dans de nombreux sols viticoles européens ».
Même si « le mal est fait » et que les doses actuelles sont faibles, « ces résultats ne remettent pas en cause le besoin de se passer du cuivre. Il faut en revanche laisser le temps de trouver des alternatives. L’épandage de déjections animales riches en cuivre sur les sols devrait aussi être questionné, puisqu’il participe à l’accumulation de cuivre », estime Lionel Ranjard, co-auteur de l’étude.
À retenir : Oui, l’utilisation de cuivre en agriculture a un impact néfaste sur l’environnement lorsqu’il est utilisé en excès, et lorsqu’il s’accumule dans les sols en quantités importantes. Il est autorisé sur le sol européen jusqu’en 2025, mais classé comme substance « candidate à la substitution », avec des restrictions d’usage associées. Toutefois, les études sur le seuil de toxicologie du cuivre et sur les effets des doses réglementaires sont trop peu nombreuses pour conclure objectivement à un impact néfaste à la dose réglementaire actuelle de 4 kg/ha/an.
*Définitions Maladies fongiques : maladies provoquées par des champignons Effet fongicide : qui élimine les champignons parasites Matière active : substance exerçant une action sur les organismes nuisibles. Elle se différentie du produit phytopharmaceutique, qui contient cette substance Engrais : apportent aux plantes des éléments directement utiles à leur nutrition Cuprique : relatif au cuivre Composés du cuivre : en protection des cultures, le cuivre s’utilise sous différentes formes, qui constituent les composés du cuivre et font l’objet d’une seule et même approbation par la Commission européenne |
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[2] https://web.archive.org/web/20201127113259/https://www.inrae.fr/sites/default/files/pdf/expertise-cuivre-en-ab-resume-francais-2.pdf
[3] https://web.archive.org/web/20190508081917/http://147.100.179.105/gissol/rapports/Rapport_HD.pdf
[4] https://web.archive.org/web/20180721121222/https://efsa.onlinelibrary.wiley.com/action/cookieAbsent
[7] https://web.archive.org/web/20160804055450/http://www.sud-et-bio.com/sites/default/files/file/Viticulture/FicheTechnique-cuivre-avril2008.pdf