Les Français consomment des endives OGM sans le savoir

Le syndicat la Confédération paysanne dénonçait la présence sur le marché français d’endives génétiquement modifiées. Si au regard du droit européen, la plupart des endives hybrides cultivées sont en effet classées comme telles, peut-on vraiment parler d’OGM ?

Inf’OGM, association : « 85 % des endives françaises sont des OGM »

Bastamag, média en ligne : « Les Français consomment des endives génétiquement modifiées sans le savoir. Selon la Confédération paysanne, Limagrain-Vilmorin, le groupe français n°1 mondial de l’endive ‘introduit à notre insu des endives OGM sur le marché, y compris en agriculture biologique’. »

Avec l’hiver, l’endive est de retour sur les étals. Un légume qu’en janvier 2020 la Confédération paysanne qualifiait d’« OGM caché ». Ce syndicat agricole mettait en cause le procédé d’obtention de certaines variétés : la fusion cellulaire. Cette méthode, bien que considérée comme une manipulation génétique, est autorisée par la directive européenne sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) [1] et, en France, par le code de l’environnement [2]. Une contradiction dénoncée par des agriculteurs de la Confédération paysanne.

La Confédération paysanne, syndicat agricole : « La conf en action pour dénoncer la commercialisation de semences d’endives OGM ! Nous voulons savoir ce qu’on cultive et ce qu’on mange ! Transparence, étiquetage obligatoire ! »

Des OGM cachés ?

La controverse porte sur une technique en particulier : la fusion cellulaire [3], méthode couramment employée par les semenciers pour hybrider in vitro* des cellules végétales d’espèces différentes. La plupart des variétés d’endives incriminées sont ainsi obtenues en croisant un tournesol et une chicorée [4], deux espèces de plantes différentes, mais de la même famille botanique. Cela en fait-il pour autant des OGM ?

C’est la question que pose sur son site internet le Groupement national interprofessionnel des semences et plants (Gnis) dont le rôle est de représenter les acteurs de la filière française des semences : « Y a-t-il sur le territoire français des variétés hybrides* d’endives dont les méthodes d’obtention justifieraient qu’elles soient considérées comme OGM ? [5] »

Oui mais non, répond l’interprofession semencière au sujet des endives

« Oui », affirme le Gnis. « Sur les 58 variétés d’endives existant au Catalogue officiel européen des variétés [6], 47 sont hybrides. La plupart de ces variétés hybrides, dont certaines datent de 1988, a été obtenue par une technique qui fait que les plantes qui en sont issues sont désormais classées comme OGM au regard de la directive européenne 2001/18/CE [7] ».

« Mais », ajoute l’interprofession, « cette même directive européenne précise que si les techniques concernées sont utilisées entre espèces d’une même famille botanique (donc qui pourraient se croiser naturellement et donner lieu à l’obtention de variétés par des méthodes de sélection traditionnelles), les semences des variétés obtenues n’ont alors pas à faire l’objet d’un étiquetage particulier. C’est le cas pour ces variétés d’endives […] par ailleurs également utilisées en agriculture biologique […] ».

La réglementation fait une exception pour les plantes d’une même famille

Argument avancé pour justifier ce régime d’exception : la fusion cellulaire ne ferait que reproduire la nature en laboratoire, raisonnement qualifié de fallacieux par ses détracteurs. La Confédération paysanne dénonce par ailleurs dans une lettre ouverte adressée au Gnis [8], l’absence de transparence sur les méthodes d’obtention de ces semences végétales.

L’association des producteurs d’endives français (Apef) rappelle quant à elle que le ministère de l’Agriculture a « officiellement contredit » les accusations portées par la Confédération paysanne dans une réponse faite à la sénatrice Laurence Cohen sur le sujet [9].

La mutagenèse également concernée ?

Les consommateurs devraient donc continuer à trouver en magasin des endives OGM vendues tout à fait légalement, y compris estampillées AB (agriculture biologique). Néanmoins, plusieurs variétés sont appelées à être retirées. Ce sera notamment le cas de celles obtenues « par certaines techniques de mutagenèse* [qui] doivent être soumises à la réglementation relative aux organismes génétiquement modifiés » a tranché le Conseil d’État [10], s’appuyant sur un arrêt de la Cour de Justice européenne rendu en 2018 [11].

À la différence de la fusion cellulaire qui opère des croisements in vitro, la mutagenèse* cherche à provoquer des mutations du génome* de la plante. Pour ce faire, divers procédés sont mis en œuvre : hybridation*, sélection variétale, mais aussi bombardements de rayons, expositions à des substances chimiques.

Une nouvelle liste des méthodes d’obtention autorisées bientôt à l’étude

La mutagenèse n’est pas davantage réglementée. Mais à la suite de la décision du Conseil d’État, le gouvernement devra dresser la liste des méthodes employées afin de faire le tri entre celles relevant désormais de la législation sur les OGM [12], notamment les plus récentes. Les plus anciennes, « dont la sécurité est avérée depuis longtemps », pourront continuer à bénéficier d’une exemption.

À ce jour, le gouvernement n’a pas encore entamé de démarches en ce sens. Cette « inaction » est dénoncée par la Confédération paysanne et huit autres associations [13].

Parmi les variétés examinées figureront notamment les endives rendues tolérantes aux herbicides [14]. 20 % des surfaces cultivées en endives seraient concernées, selon un rapport de l’Anses [15].

Quant à affirmer que 85 % des endives présentes sur le marché seraient des OGM au sens réglementaire du terme, ce chiffre n’est pas documenté. Il émanerait, selon la Confédération paysanne, du Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes (CTIFL), qui ne l’a pas commenté.

À retenir : Oui, certaines variétés d’endives sont issues d’organismes génétiquement modifiés. Les méthodes employées pour obtenir les semences correspondent en effet à la définition énoncée dans la directive européenne sur les OGM et le droit français. Les textes précisent cependant qu’elles constituent des exceptions car elles résultent de croisements entre espèces d’une même famille botanique, qui pourraient se croiser naturellement. À ce jour, elles échappent de fait à la réglementation.

*Définitions
Mutagénèse : processus d’apparition d’une mutation par exposition de l’ADN à un agent mutagène, d’origine naturelle ou induit par l’homme
 
Génome : ensemble du matériel génétique d’un organisme, codé dans son ADN
 
Variété : plante appartenant à une même espèce botanique, mais présentant des différences notables (couleur, taille…), et dont les caractéristiques peuvent être reproduits d’une génération à l’autre par semis

Hybride : plante résultant d’un croisement entre deux végétaux d’un même genre ou d’une même espèce botanique. L’hybridation peut être spontanée (dans la nature) ou provoquée par l’homme

In vitro : en milieu artificiel ou en laboratoire, par opposition à « in situ », dans son milieu naturel

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[1] https://web.archive.org/web/20201106131549/https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A32001L0018

[2] https://web.archive.org/web/20201211142841/https://www.legifrance.gouv.fr/codes/texte_lc/LEGITEXT000006074220/2018-04-06/

[3] https://web.archive.org/web/20201028084739/https://agriculture.gouv.fr/quest-ce-quun-ogm

[4] https://web.archive.org/web/20200114233207/https://www.ouest-france.fr/economie/agriculture/angers-la-confederation-paysanne-manifeste-contre-les-endives-ogm-6689380

[5] https://web.archive.org/web/20201028022510/https://www.gnis.fr/questions-reponses-gnis-filiere-semences/

[6] https://web.archive.org/web/20201211141437/https://ec.europa.eu/food/plant/plant_propagation_material/plant_variety_catalogues_databases/search/public/?event=searchForm&ctl_type=H&active_tab=v

[7] https://web.archive.org/web/20201106131549/https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A32001L0018

[8] https://web.archive.org/web/20201211141811/http://confederationpaysanne.fr/sites/1/articles/documents/Lettre_Ouverte%20_GNIS_Endives_OGM.pdf

[9] https://web.archive.org/web/20201211141946/http://www.senat.fr/basile/visio.do?id=qSEQ200214459&idtable=SEQ200214459&date=dateJORep&_c=ogm&id=qSEQ190912335&appr=text&idtable=q366089&rch=qa&al=true

[10] https://web.archive.org/web/20201205151528/https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/certains-organismes-obtenus-par-mutagenese-doivent-respecter-la-reglementation-ogm

[11] https://web.archive.org/web/20190213083154/https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A62016CJ0528

[12] https://web.archive.org/web/20201211143048/https://www.editions-legislatives.fr/actualite/pour-le-conseil-d-etat-certains-organismes-obtenus-par-mutagenese-doivent-respecter-la-reglementatio

[13] https://web.archive.org/web/20201211143305/https://www.confederationpaysanne.fr/actu.php?id=10693

[14] https://web.archive.org/web/20201211160744/http://cat.geves.info/CAT_WEB/Data/Fid_40827_3004213_20130405_FR_REDU_Chicoree-Witloofendives,Chicoreeitalienne.PDF

[15] https://web.archive.org/web/20200724055458/https://www.anses.fr/fr/system/files/UPO2015SA0063Ra.pdf