De très nombreux médias titrent de manière erronée sur la transformation de vin en gel hydroalcoolique. Des articles qui s’inscrivent dans le contexte actuel de crise de la distillation liée à la pandémie du Covid-19. Tous traitent l’information à partir d’une dépêche AFP du 4 juin 2020 qui, pourtant, précise dans son titre que « Les surplus de vin ne vont pas produire que du gel hydroalcoolique ». Comme expliqué dans le corps de texte, pour permettre au vignoble français d’apurer ses surstocks de vins, les invendus vont d’abord alimenter le marché des biocarburants.
France Bleue : » La France va transformer des millions de litres de vin invendu en gel hydroalcoolique »
BFM Eco : « Comment les surplus de vin sont distillés pour fabriquer du gel hydroalcoolique »
Ouest France : « Du vin dans votre gel hydroalcoolique pour permettre aux vignerons d’écouler leurs excédents »
« La France va transformer des millions de litres de vin invendu en gel hydroalcoolique », titre FranceBleu (1). « Comment les surplus de vin sont distillés pour fabriquer du gel hydroalcoolique », renchérit BFMTV (2). « Du vin dans votre gel hydroalcoolique », rapportent encore Ouest France (3) et L’Union (4). « Coronavirus : comment les vins d’Alsace pourraient bien finir en gel hydroalcoolique », alerte de son côté France3 Alsace (5). « Avec la transformation de vin en gel hydroalcoolique, le vignoble de Gaillac joue sa “survie” », alarme France3 Occitanie (6). « Les vignerons français vont transformer leurs invendus en gel », traduit outre-Manche The Guardian (7).
Fondés sur une même dépêche de l’Agence France Presse (AFP) du 4 juin 2020 mal interprétée, ces titres s’avèrent trompeurs face à la réalité du marché des alcools de distilleries.
Le bioéthanol, principal débouché des surstocks de vin
Présentant ce 4 juin 2020 le dispositif administratif de la distillation de crise des volumes de vins invendus à cause de la crise sanitaire, l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer) précise en visioconférence de presse que le gel hydroalcoolique sera un débouché accessoire pour les distilleries.
Les produits de cette distillation de crise étant limités à un usage industriel, « le débouché principal sera le bioéthanol », indique alors Didier Josso, le délégué pour la filière vins chez FranceAgriMer. Il précise qu’étant donné que « le bioéthanol a un problème de marché, il va y avoir un besoin de stockage de bioéthanol ».
« Il faut aussi donner envie » de lire les articles
Après avoir suivi la visioconférence, Isabel Malsang, journaliste à l’AFP contactée par DecodAgri, a rédigé la dépêche intitulée « Les surplus de vin ne vont pas produire que du gel hydroalcoolique ». Dans le corps du texte est précisé que le bioéthanol sera la première destination de ces vins distillés.
Faute de chiffres sûrs qui indiquent les utilisations principales de ces alcools de vin, l’AFP a opté pour la mise en avant d’une utilisation pharmaceutique. « En effet, le titre de la dépêche a un peu raccourci le sujet en ne parlant que du gel hydroalcoolique, [mais] pour une raison de place, nous ne pouvions pas mettre tous les éléments, et pour une raison évidente liée à l’actualité récente, nous avons privilégié le gel hydroalcoolique », souligne Isabel Malsang.
Et la journaliste d’ajouter que « dans ce cas, nous avons privilégié dans ce titre le lien avec l’actualité récente, probablement dans un souci de faire lire l’article au plus grand nombre, de lui trouver des lecteurs qui ne connaissent rien au business du vin. Car le titre « du vin dans votre bioéthanol » était impossible, très peu de gens sachant ce qu’est le bioéthanol », détaille encore la journaliste à DecodAgri, précisant « qu’il y a encore six mois personne ne connaissait le mot « gel hydroalcoolique » non plus… »
S’il a fait le tour de la presse, « ce titre n’a pas été écrit sans réfléchir, affirme Isabel Malsang, il faut toujours lire les articles, de préférence en entier. Mais il faut aussi donner envie de les lire, et nous sommes dans un univers où tout tourne autour de 140 signes, ce que je déplore parfois. »
Pourquoi le gel hydroalcoolique n’est-il pas privilégié ?
L’Union nationale des distilleries vinicoles (UNDV), contactée par DecodAgri, explique que le marché des gels hydroalcooliques est insuffisant face aux volumes disponibles de la distillation de crise.
« Au début de la pandémie, nos distilleries ont proposé par solidarité leur production d’alcool pur pour la production de gel hydroalcoolique (150 000 litres d’alcool de bouche). Mais aujourd’hui les alcools de la distillation de crise seront principalement destinés à la biocarburation », confirme à Decodagri Yoann Maillard, le directeur marketing du groupe de distilleries coopératives Grap’Sud.
Il explique pourquoi. Les volumes distillés seront bien trop importants par rapport à la demande en gel hydroalcoolique : avec un budget gouvernemental actuellement calibré pour la distillation de 2 millions d’hectolitres de vins excédentaires, le vignoble produirait 200 000 hl d’alcool à 90°.alc, soit l’équivalent de 24 millions de litres de gel hydroalcoolique à 80 °.alc ! « Il faudrait que l’on devienne de sérieux exportateurs de gel hydroalcoolique », ironise Yoann Maillard.
À retenir : Le titre d’une dépêche AFP du 4 juin 2020, « Les surplus de vin ne vont pas produire que du gel hydroalcoolique », a été repris dans beaucoup de médias de manière erronée. Nombre d’entre eux ont conclu que les litres invendus de vin dus à la crise du coronavirus serviraient à fabriquer du gel hydroalcoolique. Or, comme le précisent le corps de texte de l’AFP, FranceAgriMer et L’Union nationale des distilleries vinicoles, « le principal débouché sera le bioéthanol ».
| Définitions Biocarburant : carburant de substitution aux produits pétroliers, d’origine végétale (éthanol, ester de colza, de tournesol). Bioéthanol : biocarburant composé d’éthanol d’origine végétale. Il s’agit d’un carburant de substitution produit à partir de betteraves à sucre, de céréales et de sous-produits vinicoles (marcs de raisin et lies de vin). |
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